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Enseignement » Outils et matériaux pédagogiques » Textes et sources sur la Révolution française » La machine à fantasmes » A propos de la machine à fantasmes

Institut d'Histoire de la Révolution Française (IHRF)

 

IHRF-IHMC
(UMR8066, CNRS/ENS/Paris 1)

 

Fondé en 1937 à l’initiative de Georges Lefebvre, l’Institut d'Histoire de la Révolution Française est rattaché à l’UFR d’Histoire (09) de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.
Présentation complète

 

17, rue de la Sorbonne

Esc. C, 3e étage

75005 Paris

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Chargé de communication

Opens window for sending emailAlexis Darbon

 

Bibliothèque

La bibliothèque ouvrira à partir du 1er septembre, sur RdV uniquement.

Lundi et mardi : 14 h – 17 h 30
Mercredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 17 h 30
Jeudi : 9 h 30 – 13 h
Vendredi : 9 h 30 – 13 h | 14 h – 16 h
 

Thomas Corpet

Tél. : 01 40 46 33 70

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A propos de la machine à fantasmes

 

 

Le texte qui suit a été publié par le philosophe Jean-Clet Martin, sur son blog, Strass de la philosophie, le 23 mai 2012.

 

La "Révolution Française", comme toute figure qui s’est imposée à la curiosité de l’histoire, est inséparable d’une machine à fantasmes. Une mécanique de l’image en laquelle s’élaborent des figures placées au bord du mythe comme celles de Marat, du régicide, des meurtres de masse ou encore la bataille de Valmy qui sont autant de souvenirs intimement liés à l’intérêt qu’on leur porte et qui forgent une archive, la compulsion documentaire dont l’historien hérite comme d’une réputation, d’un écho plus dense que les faits. Jean-Clément Martin, homonymement proche de mon patronyme, cherche à élaborer, dans son dernier livre, le rapport constructif entre l’actualité et sa reprise, entre ce qui s’est passé effectivement sur la scène d’un temps et ce qui s’inscrit dans les archives moins brûlantes. Une mémoire inséparable du succès, de l’attraction que les contemporains ont pu éprouver de façon répulsive ou séduisante relativement à certaines données supposées intouchables. Des faits très peu factuels, entourés d’un halo passionnel capable de les porter et les hisser vers une figuration, une figure à laquelle contribuent toutes les formes médiatiques d’une époque : à la fois de ce qu’on lit et ce qui se dit –tout une chambre d’échos dont l’historien hérite sans noter suffisamment la teneur idéologique de ce maillage.

 

On se heurte ainsi pour chaque époque à des évidences qui n’en sont guère, patiemment produites par une vision qui n’a rien de naturel et qui contribue à la torsion de l’image d’un « siècle », « grand siècle », « siècle de Napoléon » etc. A même la précision des actes et des gestes de ceux qui vivent un monde, viennent se souder et se tisser des globalisations surimposées aux initiatives individuelles, à la localisation d’un événement. Comment, dès le présent de l’actualité, des montages mettent en lumière, rendent visibles les initiatives dans la forêt des faits, voilà d’une certaine manière ce qui nourrit l’approche de Jean-Clément Martin selon une méthode qui retrouve, pour l’événement, l’aura dans laquelle il baigne, inséparable de sa visibilité. Entre ce que les acteurs font et ce qui se dit circulent des clichés mis en abyme dans les descriptions mêmes des historiens dont il faudrait réactiver la densité. Les descriptions de l’historiographie ne peuvent s’exempter du jeu de voiles qui se sont glissés entre ce qui s’est produit d’accablant et ce qui s’est dit de notable, un tissu de rapports qui intervient déjà entre l’acteur et ses contemporains non sans se répercuter sur les lectures rétrospectives capables de capturer l’intérêt de l’historien le plus objectif qui soit. La lecture de Jean-Clément Martin se trouve habitée par une forme de dévoilement des représentations successives et palimpestueuses interposées entre l’action et sa renommée amplifiée, sa réalité augmentée. Le prestige ou la mort de Marat, les figures qui s’imposent dans les visions qui mettent en circulation son image sont très variables, hétérogènes, non pas seulement dans le temps mais déjà dans l’espace contemporain qui les recueille et les fait briller sous des angles imaginaires. Et il ne s’agit pas de forer cet amalgame dans l’idée naïve d’y retrouver la vérité ni de pratiquer une soustraction de la chape idéologique qui nimbe un événement. La vérité est elle-même un jeu de voiles dont il n’existe aucune certitude nue, aucune fondation d’origine, pas même dans la vision que l’individu prend lui-même de son propre geste ou de son importance insurrectionnelle.

 

La production des multiples voiles du prestige, comme de l’horreur, se fabrique dès l’époque, dans le présent de l’acte qui est d’emblée public ou n’est rien. Ce qui s’est passé est déjà coulé dans une gaze de sens, dans des couches interprétatives et des intégrations différentielles qui passent par des slogans, des mots d’ordre, des clichés qui font le cœur palpitant et erroné d’un monde. Notre rationalité contemporaine a certes du mal à rentrer dans "l’image de la pensée" d’une époque, dans ces voiles que Derrida avait également et autrement déconstruits par son trajet philosophique. Il savait conjointement aux Historiens qui lui sont contemporains, comme Jean-Clément Martin, que sur le très long terme, il y a une complexité dense, une densification narrative, une description de sa mise en intrigue presque atonale par sa complexité. L’historien ne peut se soustraire à la multiplicité des visibilités, des tableaux qui se recouvrent comme une variété riemanienne, un bloc-notes aux feuillets transparents, superposés pour momifier l’événement dans sa superbe et son tour incomparable. Il y a des lois de la mémoire, de sa mise en strates dont l’intrication est poreuse et qu’on ne peut soulever sans aller voir peut-être du côté de ce que la mémoire suppose comme fonctions et formes. Quand commencent alors les événements ? Comment fixer les commencements ? Comment juger de leurs dénominations ? A partir de quand le mot « terreur », qui est déjà une représentation préalable, peut-il s’imposer au titre d’un index et d’une mémoire ? On comprendra bien par ces questions qu’il nous faut perdre notre naïveté devant les dénominations toutes faites et comprendre leur stratification. De tels mots ne sont pas adéquats ni référentiels. Il y a une fabrique des noms qui fait la fabrique de l’histoire. Ce que nous prenons pour immédiatement visible, nous en avons oublié le trajet et la construction à travers l’imagerie sophistiquée de la représentation, et sans doute même de ce qui est présentable, ou non, dès l’origine. La façon dont des groupes se forment et se hissent sur la scène de l’actualité est un purgatoire dont on ne sort pas indemne. Ces références ciblées par une mémoire immédiate sont encore actives dans la lecture de l’événement bien des siècles après sont enfoncement dans le temps pacifié du monde. La révolution est sans doute un objet qui se constitue au-travers d’une machination, d’un palimpseste de visions fausses et inventées tout en suivant la tresses des réécritures successives, difficiles à démêler en ce que les « lieux » de mémoires ont été durablement fixés. Valmy n’est pas qu’un nom, mais une aura nominale lardée de topoï qui n’apparaissent pas d’emblée aux yeux de l’historien classique ignorant encore trop souvent les stratégies de variation, de transit dont sera capable la mémoire courte passant dans la mémoire longue.