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Manifestations scientifiques » Colloques » C 23-24/09/2011 les colonies, la RévF, la loi

C 23-24/09/2011 les colonies, la RévF, la loi

Colloque Les colonies, la Révolution française, la loi

 

 

Colloque international organisé par l’IHRF (Institut d’Histoire de la Révolution Française), ANR RevLoi Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, le GREHDIOM (Groupe de Recherche en Histoire du Droit et des Institutions de l’Outre-Mer), Université Antilles-Guyane, le CHJ (Centre d’Histoire Judiciaire), CNRS-Université de Lille 2.

 

Lieu : Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 12, place du Panthéon, Salle 1.

 

 

vendredi 23 et samedi 24 septembre 2011

 

PROGRAMME

 

Comité scientifique : Jean Bart, Jean-Claude Colliard, Serge Dauchy, Marcel Dorigny, Sudel Fuma, Jean-Louis Halpérin, Jean-Philippe Heurtin, Victorin Lurel, Daniel Maximin, Anne Pérotin-Dumon, Pascal Saffache, Pierre Serna, Françoise Vergès.

Comité d’organisation : Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Guillaume Mazeau, Jean-François Niort, Frédéric Régent, Florence Renucci, Anne Simonin, Marie-Michelle Talis.

 

 

Ce colloque s’inscrit dans la célébration de

« 2011, année des Outre-Mer ».

 

Le droit colonial fixe le cadre juridique des relations entre la France et ses colonies. Ses champs d’applications sont immenses : relations commerciales, commerce des hommes, droits des personnes, des propriétés, fiscalité, justice, fonctionnement des institutions... Outre les colonies et le commerce colonial, la législation porte aussi sur le séjour des Noirs et gens de couleur en France, tout au long du XVIIIe siècle. Sous l’Ancien Régime, ces lois et règlements concernant les colonies et émanant de l’autorité centrale sont rassemblés dans des recueils communément appelés « Code Noir ». Certains de ceux-ci connaissent plusieurs éditions au XVIIIe siècle, révisées et augmentées en fonction de l’évolution de la législation. Les textes rassemblés dans le Code Noir sont utiles à la fois aux propriétaires d’esclaves, aux autorités coloniales, aux administrations maritimes, aux négociants ou aux capitaines de navire. Leur publication est une entreprise éditoriale privée, plus qu’une initiative monarchique. La Révolution française modifie-t-elle ce cadre de publication de la loi coloniale ?

Sous l’Ancien Régime, le droit colonial se construit à la fois à Versailles, mais aussi dans chaque colonie, d’autant plus que la France hésite entre l’assimilation juridique et le régime de la spécificité dans les colonies. Le fait révolutionnaire modifie-t-il cette pratique ? La Révolution tranche-t-elle ce débat ?

La période de la Constituante est marquée par la volonté de cette assemblée d’intervenir le moins possible dans la législation coloniale. En effet, le 24 septembre 1791, l’Assemblée constituante laisse aux assemblées coloniales tout pouvoir pour légiférer sur les droits des personnes dans les colonies. Pourtant, la Constituante fonde un comité des colonies, le 2 mars 1790. La Révolution rend possible l’égalité entre Blancs et libres de couleur, le 28 mars 1792, et l’abolition de l’esclavage, le 4 février 1794. Les mécanismes aboutissant à ces lois sont à la fois internes (rôle des philanthropes) et externes (révoltes des libres de couleur et des esclaves, guerre). Il faudra aussi s’intéresser au temps de la loi, au caractère éphémère de l’abolition de l’esclavage, à sa non application aux Mascareignes. La Constitution de l’An III [1795] qui instaure le Directoire, adopte le principe de l’assimilation juridique des colonies. Elle se traduit par la loi du 23 octobre 1797, qui transforme les colonies en départements français et la loi du 1er janvier 1798 qui déclare citoyen français, tout individu noir ou sang-mêlé, à condition qu’il soit attaché à la culture, employé dans les armées ou qu’il exerce une profession ou un métier. En six années, le pouvoir législatif français est passé d’une posture de délégation de la loi à des assemblées coloniales à une assimilation juridique. Il faut souligner le caractère éphémère de ce choix, car dans la Constitution de l’An VIII [1799], le pouvoir consulaire revient au régime de spécificité juridique des colonies.

Si elle a modifié la législation coloniale, le Révolution n’a pas été prodigue d’expéditions coloniales. L’expédition d’Egypte (1798-1801) constitue en effet sa seule entreprise coloniale. Dans quel cadre se met en place cette colonisation sous un ordre juridique nouveau ? Enfin, la Révolution s’achève par le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe, décidé par Napoléon Bonaparte Désormais, les autorités coloniales se consacrent au rétablissement d’un ordre esclavagiste et ségrégatif, à l’application et l’adaptation du Code civil dans les colonies.

La colonisation se poursuit au-delà de la Révolution et l’un de nos objectifs est de déterminer l’influence de cette période sur la production du droit colonial, lors de la deuxième colonisation française qui commence à partir de 1830 avec le début de la conquête de l’Algérie.

L’objectif général de ce colloque est d’emprunter un certain nombre de pistes de recherche concernant la loi, son élaboration, sa publication et son application en milieu colonial pendant la Révolution française et d’étudier l’impact et la postérité de celle-ci sur le droit colonial, en posant la question centrale de l’existence, des modalités et des limites d’un droit colonial révolutionnaire et de sa postérité.

Existe-t-il un droit colonial révolutionnaire ? C’est à cette question centrale que ce colloque international ambitionne d’apporter des éléments de réponse en faisant appel à des historiens, des historiens du droit et des juristes. Isoler une législation coloniale révolutionnaire revient à s’interroger sur ses caractéristiques et ses spécificités. Afin de les découvrir, le colloque s’organisera autour de quatre axes de réflexion qui permettront de cerner au plus près la loi coloniale révolutionnaire :

Les modes de production de la loi coloniale révolutionnaire et ses acteurs. Le contenu de la loi coloniale révolutionnaire. Son application pratique. La postérité de la loi révolutionnaire.

Ces axes de réflexion seront évoqués au fil des différentes phases historiques et politiques qui caractérisent la période révolutionnaire (envisagée au sens large, de 1789 à l’Empire), au cours desquels la loi coloniale a changé de visage et de contenu. Chaque phase est en effet marquée par une dominante idéologique en matière de loi coloniale : conservatisme pour la première ; radicalité dans l’application des principes révolutionnaires à la législation coloniale pour la suivante ; réaction vers l’ancien droit colonial pour la troisième. Au préalable, le passage de l’Ancien Régime à la Révolution sera évoqué au travers de l’exemple des libres de couleur, et au final, un éclairage sur l’héritage de la Révolution française dans le droit colonial sera porté.

 

I. La législation sur les noirs et gens de couleur en France de l’Ancien Régime à la Révolution

II. Les questions coloniales saisies par la Constituante et la Législative

III. Appliquer une législation radicale dans les colonies sous la Convention et le Directoire

IV. Retour du droit colonial réactionnaire sous le Consulat et l’Empire

V. L’héritage de la Révolution française dans le droit colonial

 

 

Vendredi 23 septembre 2011 9H00-10H15

Accueil des invités Allocutions des personnalités.

Jean-Claude Colliard, président de l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne Philippe Boutry,directeur de l’UFR d’Histoire Pierre Serna, directeur de l’IHRF Serge Dauchy, directeur du CHJ, Université Lille 2. Françoise Vergès, Présidente du Comité pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage Daniel Maximin, commissaire de 2011 année des Outre-Mer

 

 

Vendredi 23 septembre 2011 10H30-12H30

 

Introduction générale

Du Code Noir à la Révolution française : remarques sur le droit colonial de l’Ancien Régime Frédéric Régent, Maître de conférences en Histoire, Institut d’Histoire de la Révolution Française (EA 127-UMS 622), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Jean-François Niort, Maître de conférences en Histoire du droit et des institutions, CRPLC (UMR 5083), GREHDIOM, Université des Antilles et de la Guyane.

I. La législation sur les noirs et gens de couleur en France de l’Ancien Régime à la Révolution

Élaboration et pratique de la législation sur les Noirs en France au cours du xviiie siècle Pierre Boulle, Professeur des universités en Histoire, Université McGill, Montréal.

Cette communication cherchera à faire le bilan de l’application des lois qui visèrent, à partir de 1738, à limiter l’exception au principe du sol libre – toute personne touchant le sol de France est libre – accordée aux planteurs antillais en 1716, garantissant sous certaines conditions que les esclaves qu’ils amèneraient en France ne seraient pas, par ce simple fait, considérés comme libres. Suite à l’augmentation d’une population non-libre en France, due à l’édit de 1716, à l’apparition d’une minorité de non-blancs libres et à la perception que cette nouvelle population risquait d’être néfaste au caractère français, voire à la santé des Français de souche, plusieurs nouvelles lois (1738, 1742, 1763, 1777) furent promulguées qui tentaient de restreindre et finalement d’éliminer la minorité non-blanche qui s’était installée en France. Comment expliquer l’inefficacité de ces efforts ? Cette contribution cherchera à découvrir les différents procédés utilisés par les personnes qui profitèrent de l’exception pour flouer, malgré une attitude raciste grandissante de la part des élites, les modalités de la législation. Mais peut-on véritablement voir ici une lutte entre un pouvoir cherchant à interdire l’entrée de non-blancs en France et un groupe de propriétaires d’esclaves tout aussi déterminés à contourner la loi ? S’agirait-il alors d’un cas typique de législation d’Ancien Régime, fortement absolutiste mais vouée à l’échec par la force du privilège ? Nous suggérerons plutôt que les lois sur la résidence des non-blancs en France sont typiques du va-et-vient entre assertion de pouvoir et accommodation d’intérêts particuliers – en quelque sorte un moyen d’assurer le juste milieu – qui, selon le philosophe du droit, Norberto Bobbio, caractérise le droit d’Ancien Régime.

Les libres de couleur dans le jeu politique en France en 1789 : Origine, implication, devenir Erick Noël, Professeur des universités en Histoire, Archéologie Industrielle, Histoire et Patrimoine (AIHP, EA 929), Université des Antilles et de la Guyane.

La société des libres de couleur, le plus souvent originaires des Antilles et passés à Paris dans les dernières années de l’Ancien Régime, s’est dès l’été 1789 organisée en un groupe politique où ont émergé les figures de Julien Raimond et de Vincent Ogé. Derrière ces leaders, cependant, une petite centaine de citoyens de couleur a secondé leur action : ces hommes, connus par l’acte fondateur passé à Paris devant le notaire Lefébure de Saint-Maur, ont pu être retrouvés dans les déclarations portées dans leur port d’arrivée ou dans les greffes des amirautés, voire dans des procédures qu’ils avaient pu engager jusque devant la Table de marbre pour une reconnaissance de leurs droits malmenés. Des liens ont ainsi été établis entre eux, bien avant leur entrée en politique, par le sang comme par les affaires qu’ils conduisaient. Cette élite parfois proche par son mode de vie du milieu colon a pu cependant évoluer dans des voies divergentes, à l’heure où le refus des planteurs à satisfaire ses revendications a compliqué l’action engagée : si l’option politique a conduit certains, devenus Amis des Noirs, à agir pour une émancipation pleine et entière de leurs concitoyens et à s’impliquer dans la révolution domingoise, l’engagement au service de la patrie a poussé d’autres à servir aux Armées et à poursuivre une carrière militaire. Dans le meilleur des cas l’étude des itinéraires individuels a permis de retrouver une fraction d’entre eux dans la société civile sous l’Empire.

Discussion

Déjeuner

Vendredi 23 septembre 2011 14H15-16H00

II. Les questions coloniales saisies par la Constituante et la Législative

Les Constituants et la loi dans les colonies (1789-1791) : l’idéal libéral à l’épreuve de la question coloniale  Yann-Arzel Durelle-Marc, Maître de conférences en Histoire du droit et des Institutions, Centre de Recherches juridiques de Franche-Comté (EA 3225), Université de Franche-Comté.

La « question coloniale » intervient très tôt dans le débat révolutionnaire comme un sujet relevant conjointement des principes et de la pratique. Les deux aspects présentent d’emblée leurs difficultés respectives, puisque sur le terrain des principes, il n’est pas acquis que les « gens de couleur » et les « noirs » doivent bénéficier soit intégralement, soit également des droits d’hommes et de citoyens. De la même manière, le gouvernement et le commerce coloniaux présentant des spécificités, l’application directe des règles communes ne résulte pas de l’évidence absolue. Dans le domaine pratique, l’histoire de la colonisation d’Ancien Régime et les intérêts économiques, aussi bien du royaume que des colons et des commerçants métropolitains, interviennent dans le débat et infléchissent profondément les décisions de la première assemblée nationale contemporaine. Il résulte de ces éléments une législation spéciale dont les contradictions de principes et les inconvénients pratiques ne sont pas à démontrer : les discussions, les tractations, les concessions, les pressions diverses aboutissent au maintien de l’esclavage des noirs, à l’émancipation très imparfaite des gens de couleur, à un statut particulier des colonies en matière de gouvernement et de législation, enfin à des règles civiles et commerciales dérogatoires. En d’autres termes, la question coloniale impose dès l’origine à l’idéal libéral de la Révolution française des contradictions aiguës. Il s’agira d’examiner, sur la foi des débats parlementaires principalement, les positions des constituants libéraux à l’égard de cette légalité dérogatoire mise en place pour les colonies. Dans une Assemblée constituante où les logiques parlementaires ne procèdent pas d’une expérience antérieure et où les disciplines partisanes n’ont pas la force acquise de nos jours, les positionnements individuels, plus libres, dessinent un large éventail de conceptions de la légalité, des colonies et de la légalité dans les colonies : on cherchera à rendre compte de cette hétérogénéité de représentations, de logiques et d’ambitions parmi les principaux tribuns libéraux. On se référera plus précisément au groupe des 96 orateurs défini par A. Aulard, desquels on exclura les aristocrates contre-révolutionnaires et les radicaux, afin de se concentrer sur le cœur de la doctrine constituante et de sa législation qui réside essentiellement dans le groupe dit des « Patriotes ».

Exclusif, droit des neutres et révolutions (1789-1799) Manuel Covo, Doctorant en Histoire, Centre d’Etudes Nord-Américaines, Mondes Américains, Sociétés, Circulations, Pouvoirs (CENA-MASCIPO, UMR 8168), EHESS.

L’Exclusif « mitigé », bien qu’inapplicable, ne fut pas aboli par l’Assemblée constituante, ni par la Législative. Il fallut en effet attendre l’entrée en guerre de l’Angleterre, en février 1793, pour que les Antilles soient légalement ouvertes aux Américains, conformément à l’esprit du traité d’amitié et de commerce de 1778. Cette décision de circonstance mit en évidence la fragilité de l’ouverture, d’autant que le droit des neutres fut rapidement contesté : la guerre de course contre les « étrangers » ne tarda pas dans les Antilles. Toussaint Louverture, qui reprit à son compte les revendications autonomistes des colons blancs, tâcha de rompre avec cette législation, tout en conservant certaines dispositions du régime prohibitif. Cette intervention se propose d’éclairer trois points. Il s’agit d’abord d’expliquer pourquoi l’Exclusif fut maintenu jusqu’en 1793, en observant le jeu complexe entre comités de l’Assemblée et lobbies coloniaux. Nous entendons également étudier comment ce sujet devint l’objet d’une rivalité législative entre métropole et colonies, au cœur du processus révolutionnaire. Enfin, la question de l’Exclusif permet de repenser l’articulation entre droit colonial et droit international, en période de révolutions et de guerres.

 

Discussion

Pause-café

Vendredi 23 septembre 2011 16H30-18H30

III. Appliquer une législation radicale dans les colonies sous la Convention et le Directoire

L’abolition, la révolution et la loi, ou de l’originalité du cas français, vers 1780/1848 Olivier Pétré-Grenouilleau, Inspecteur général de l’Education nationale, Professeur associé, Centre Roland Mousnier (UMR 8596), Université Paris IV-Paris-Sorbonne.

Il s’agira, dans une première partie, d’indiquer en quoi l’abolition de la traite et de l’esclavage est d’emblée perçue par ses défenseurs comme partie intégrante d’un mouvement de réforme devant passer par la loi, avec tout ce que cela implique. La deuxième partie sera consacrée à une comparaison avec l’Angleterre, afin de mettre en évidence le poids de la révolution dans ce processus français de réforme par la loi. Enfin, la dernière partie sera centrée sur l’étude d’un cas, un texte, un abolitionniste (ou bien l’étude comparée de deux cas) français, afin de voir, dans le détail, comment se combinent abolition, révolution et loi. La présentation, puis l’article, viseront tout d’abord à montrer combien l’abolition (de la traite et de l’esclavage) fut perçue par ses défenseurs comme devant résulter d’un processus de discussions sanctionné par des textes législatifs, et combien, de ce fait, elle fut connectée au processus de démocratisation politique que l’Europe connaissait alors. Ceci dit, il y a diverses manières de procéder à des réformes par la loi. Et l’on oppose généralement deux modèles en la matière : le cas britannique, pour lequel les choses se seraient déroulées sans grands soubresauts, et le cas français, marqué tout à la fois par une abolition précoce de l’esclavage et par un processus ensuite fort chaotique. Nous verrons alors en quoi l’impact révolutionnaire peut ou non expliquer en partie ce cheminement différent en France.

Abolir l’esclavage (1793-1848) ? Succès et limites d’une mesure révolutionnaire Frédérique Beauvois, Assistante diplômée, Institut d’histoire économique et sociale (IHES), Université de Lausanne.

De 1777 à 1888, plus d’une trentaine d’abolitions libèrent quelque sept millions d’esclaves dans le Nouveau Monde. La France supprime l’institution servile en deux temps. Son premier essai du 16 pluviôse an II (4 février 1794) n’est guère couronné de succès. Mise en pratique dans les seules colonies de Saint-Domingue, de la Guadeloupe et de la Guyane, cette loi votée par la Convention révolutionnaire est récusée moins d’une dizaine d’années plus tard par Napoléon Bonaparte. La deuxième tentative française du 27 avril – décidée suite à la Révolution de 1848 – achève le processus débuté plus d’un demi-siècle plus tôt et met un terme définitif à l’esclavage. La suppression de l’institution servile semble a priori relever d’une mesure révolutionnaire. Pratique universelle et séculaire, l’esclavage est une pratique constitutive dans nombre de territoires américains. Suite aux émancipations, l’ensemble du monde colonial doit être repensé selon de nouvelles bases économiques, politiques et sociales. Le caractère révolutionnaire de ces lois émancipatrices doit cependant être nuancé. Leur adoption ou leur application dans les colonies sont parfois court-circuitées par un certain nombre d’éléments perturbateurs qui en restreignent la portée. Afin d’en garantir le succès, le Législateur doit en effet adapter ses ambitions aux diverses données découlant de considérations juridiques, économiques ou politiques. Les lois d’abolition résultent ainsi de compromis et transcrivent l’absence de linéarité du processus abolitionniste. L’étude des textes juridiques engendrés par les deux expériences françaises doit permettre d’isoler les contraintes auxquelles se confronte l’Etat abolitionniste et les stratégies développées pour en contourner les aspects les plus saillants. De cette analyse résultera une pesée de la portée et des limites des prétentions émancipatrices de la France.

L’ombre du gouverneur derrière la façade uniformisée des départements d’outre-mer : l’institution des agents particuliers dans la loi du 1er janvier 1798 Frédéric Charlin, Docteur en Histoire du droit et des institutions, Centre d’études et de recherche sur le droit, l’histoire et l’administration publique (CERDHAP), Université de Grenoble, et GREHDIOM (Université des Antilles et de la Guyane).

L’absence de référence au monde colonial et la représentation des territoires au sein des assemblées peuvent s’interpréter comme l’abandon de la spécialité à la fin de la période révolutionnaire. La loi du 12 nivôse an VI qui se veut une application des dispositions constitutionnelles, prévoit dans son titre Ier l’exception à l’administration classique en envoyant des « agents particuliers » dans les colonies, avant tout pour mettre en œuvre l’uniformisation administrative, ce que confirme le texte. Cette loi est paradoxalement appelée « constitution coloniale » en dépit de son caractère législatif et de son inspiration assimilationniste. Le processus ne survit pas au Consulat, Bonaparte reprenant les structures de l’Ancien Régime.

 

19H Dîner

 

Samedi 24 septembre 2011 9H00-10H15

Le droit pénal esclavagiste à l’Ile de La Réunion : rupture ou continuité avec l’Ancien Régime (1796-1802) Bruno Maillard, Docteur en Histoire, Université Paris VII, ATER à l’Université Paris XII.

Le 26 juin 1795, l’assemblée coloniale de l’Ile de La Réunion enregistrait le Code pénal du 25 septembre 1791 adopté par l’Assemblée constituante. Le texte normatif, qui doit être assimilé à une loi, fut ainsi appliqué dans la colonie jusqu’au 5 vendémiaire an XII-28 septembre 1803. A cette date, les nouveaux administrateurs du Consulat appliquaient l’arrêté consulaire du 3 germinal an XI-24 mars 1803 qui rétablissait la justice dans les Mascareignes telle qu’elle l’était avant 1789. Au vrai, le plus surprenant tient non pas au fait que ce Code pénal ait été appliqué pendant 7 ans dans la colonie, mais que cette assemblée coloniale, en quasi-autarcie pendant la période et qui a par ailleurs refusé l’application du décret du 16 pluviôse an II, ait élargi ses dispositions aux esclaves ! Pourquoi ? De toute évidence, le droit pénal en application dans la colonie jusqu’à cette date ne répondait plus à l’accroissement de la population servile et aux mutations de la « criminalité ». Rappelons que l’édit de décembre 1723, avatar de l’édit de mars 1685, plus communément appelé « Code Noir », ne comptabilisait que 7 articles (sur 54) relatifs au droit pénal pour un total de 13 incriminations répertoriées. Conjugué à des règlements locaux, laconiques et confus, ce droit pénal fut d’ailleurs comblé par une jurisprudence amphigourique élaborée au fil des années par des tribunaux répressifs, partiaux et arbitraires. Une justice pénale par ailleurs contestée par les maîtres qui s’opposent depuis toujours à l’exercice d’une quelconque répression sur leurs esclaves par la puissance publique. En tout état de cause, dès 1796, les tribunaux criminels de la colonie ont jugé, au titre de ce Code pénal, les esclaves accusés d’infractions contre la chose publique, contre les personnes et surtout contre les propriétés. Cette communication reposera sur l’analyse des arrêts rendus par ces tribunaux criminels entre 1796 et 1802. Si les registres des arrêts rendus pendant cette période, conservés aux archives départementales de La Réunion, sont incomplets, ils n’en constituent pas moins une base significative pour faire rejaillir les mécanismes et les enjeux de l’application de ce droit pénal à l’encontre des esclaves. Dès lors, de multiples questions taraudent l’historien des civilisations qui chemine sur les sentiers non battus des historiens du droit. Quelle a été l’évolution de cette jurisprudence criminelle spécifique aux esclaves au regard du Code pénal ? Ce droit pénal a-t-il concerné l’ensemble des infractions commises par les esclaves pendant cette période ? Quelle a été la réaction des maîtres qui depuis 1793 siègent par élection dans les tribunaux publics de la colonie face à cette nouvelle ingérence de la puissance publique sur l’autorité domestique ?

Révolution , colonies et droit privé Eric de Mari, Professeur des universités en Histoire du droit, UMR 5815, Institut d’Histoire des Anciens Pays de Droit Ecrit, Université Montpellier I.

La communication portera sur les incidences en matière de droit privé (successions, propriétés, personnes) du phénomène révolutionnaire dans les colonies. La problématique et le champ seront précisés en fonction de l’évolution des recherches. On comparera les positions normatives avec la pratique ; on évaluera le rapport du droit aux distances et à l’enchevêtrement des histoires (nationale, locale, coloniale) ; on vérifiera le cours des intérêts et on s’interrogera sur la portée du phénomène révolutionnaire sur le ou les futurs droits « coloniaux ».

 

Pause-café

Samedi 24 septembre 2011 10H30-12H30

IV. Retour d’un droit colonial réactionnaire sous le Consulat et l’Empire

De la Constitution de l’an VIII au rétablissement de l’esclavage (1802) et à l’application du Code civil (1805) dans les colonies françaises : le retour d’un « droit colonial » réactionnaire et dérogatoire sous le régime napoléonien Jean-François Niort, Maître de conférences en Histoire du droit et des institutions, CRPLC et GREHDIOM, Université des Antilles et de la Guyane. Jérémy Richard, Docteur en Histoire du droit (Université d’Aix-Marseille), GREHDIOM.

Dans cette communication à deux voix, il s’agira de montrer qu’on assiste au retour officiel et principiel d’un « droit colonial » sous le régime napoléonien, retour qui se produit principalement en trois temps : 1° à travers le rétablissement constitutionnel du statut colonial dans la Constitution de l’an VIII ; 2° à travers le rétablissement de l’esclavage et de la ségrégation raciale (1802) - et à cette occasion la violation de la légalité républicaine par l’arrêté consulaire du 16 juillet récemment mis à jour - ; 3° et enfin à travers l’application du Code civil aux colonies sans déroger à l’ordre colonial traditionnel en 1805. Il s’agit ici bien d’un droit colonial, en tant qu’ordre juridique autonome, distinct du droit commun national dont cependant il se prévaut parfois, et donc éventuellement exorbitant et dérogatoire vis-à-vis de ce droit commun, et d’un droit colonial globalement réactionnaire, car qui opère un large retour aux principes de l’ancien droit colonial. Comme sous l’Ancien Régime, ce nouveau droit colonial apparaît d’ailleurs comme surdéterminé par des considérations pragmatiques d’ordre politique et économique et géopolitique, conduisant souvent à rompre avec tant les principes de fond (liberté, égalité, uniformité juridique) que de forme (respect des règles de compétence et de procédure) du droit commun issu de la Révolution. En ce sens, le régime napoléonien annonce le développement et la nature (toujours spécifique et dérogatoire) du droit colonial français des XIXe et XXe siècles.

Une construction impériale : le Code Decaen à l’Ile de France (1803 – 1810) Bernard Gainot, Maître de conférences, habilité à diriger des recherches en Histoire, Institut d’Histoire de la Révolution Française (EA 127-UMS 622), Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

Le projet affiché du régime consulaire en matière coloniale est de restaurer l’état de choses antérieur à 1789. L’introduction du Code civil en 1805, mais surtout les modalités concrètes de son application, marquent toutefois un infléchissement significatif par rapport à l’Ancien régime, surtout pour le régime des affranchissements et le statut des « libres de couleur ». Nous proposons d’étudier la nature du nouveau droit colonial « impérial » à travers le cas de l’Ile-de-France (Ile Maurice). La rupture avec la période révolutionnaire y est moins violente que dans les Antilles, dans la mesure où le décret d’abolition de l’esclavage n’y fut pas appliqué. Ainsi détaché, dans une certaine mesure, des impératifs de la contingence immédiate, le projet peut s’inscrire dans la durée, il est même reconduit lorsque l’établissement change de mains. Le gouverneur anglais Farquhar publie en 1824 un ensemble de textes réglementaires sous le nom de son prédécesseur français ; c’est le « Code Decaen ». L’historien Henri Prentout en avait donné une lecture approfondie, au début du XXème siècle, lecture qui fait toujours autorité. Mais il est possible de prolonger l’interprétation des textes du Code Decaen au-delà de la confrontation avec la codification de l’Ancien Régime. C’est une construction cohérente qui se dégage, subordonnant le droit civil au droit public, articulant mesures de police et mesures de justice selon des finalités qui sont principalement celles de l’ordre public. Le « libre de couleur », fut-il propriétaire, est l’élément qui menace l’établissement colonial. Il y a un infléchissement par rapport à l’Ancien régime, qui maintenait cette catégorie dans une forme d’ambiguïté et d’indétermination. Cette conception nous invite également à nous interroger, en matière de droit public, sur l’exception coloniale et la continuité territoriale.

Le procès d’une insurrection d’esclaves en 1811 à la Réunion : entre droit de l’ancien régime et droit colonial révolutionnaire Sudel Fuma, Professeur des universités en Histoire contemporaine, directeur de la Chaire UNESCO « Relations et apprentissages interculturels dans l’océan Indien », Centre de Recherche sur les Sociétés de l’Océan Indien (EA 12, CRESOI), Université de La Réunion.

En 1811 une révolte d’esclave se déroule à Bourbon qui déstabilise l’ordre colonial et donne lieu à une violente répression et à un procès judiciaire spectaculaire où 145 personnes sont concernées. A l’issue de ce procès, 25 condamnations à mort sont prononcées dont 18 effectives. 7 personnes bénéficieront de la grâce des autorités britanniques. Il s’agira à travers l’histoire de cette révolte de Saint-Leu qui se déroule à l’époque de l’occupation anglaise en novembre 1811 d’analyser le procès qui était fait aux esclaves insurgés, procès qui s’appuie sur des textes de lois relevant de la période de l’Ancien Régime et de la période révolutionnaire et de comprendre ces motivations à travers les textes juridiques qui ont été utilisés. Buffet cocktail tropical

Samedi 24 septembre 2011 14H15-18H

V. L’héritage de la Révolution française dans le droit colonial

The Swedish court at Saint Barthélemy during the 1790s and Napoleonic Wars : The difficult mixing of Swedish law and French Code noir in turbulent times Fredrik Thomasson, Research fellow at the Department of History, Uppsala University

When Sweden took possession of Saint-Barthélemy in 1785 the Swedish law of 1734 was declared. As Sweden did not have slave laws, the French Code noir of 1685 (with its amendments etc.) was re-introduced in 1787. The aim of my contribution is to discuss both the legal framework – a peculiar case of legal pluralism – and court practices at Saint-Barthélemy. The political situation during the 1790s was explosive and the court had to adjust to the conflicts and wars raging in the Caribbean. An example is when the Revolutionary government at Guadeloupe threatened Saint-Barthélemy and the court ruled in conflict with both the Swedish law and the Code noir, it adapted its sentence to the political situation while explicitly stating : “[Contre la Loi mais en considérant les Circonstances dangereuses du moment]” One of the particularities of the Swedish archives (held at ANOM in Aix-en-Provence) is that the tri-lingual (Swedish, French and English) Procès-verbaux de Justice – in contrast to the archives from the French islands – include testimonies by both free and slaves, deliberations of the court. This makes it possible to follow the discussions and conflicts within the court, which consisted of both Swedish civil servants and important local merchants. Capital sentences had to be confirmed by the Court of Appeal in Stockholm, and the protocols from the cases that reached the métropole show an additional level of the judicial system, the Saint-Barthélemy court was sometimes sternly criticized. My presentation is a report from an on-going research project which compares the Saint-Barthélemy court with the functioning of the neighbouring Danish and Dutch courts. I believe that to understand the Swedish colonial rule at Saint-Barthélemy a comparative and international perspective is necessary. The analysis of these mixed legal environments highlights a range of issues in the Caribbean context.

Le statut des Egyptiens sous l’expédition d’Egypte : l’invention d’un nouveau droit colonial Yerri Urban, Maître de conférences en Droit Public, CRPLC (Centre de Recherche pour l’étude des Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe), Université des Antilles et de la Guyane..

Première expérience coloniale française menée au nom de la mission civilisatrice, l’expédition d’Egypte, malgré sa courte durée (1798-1801), n’en a pas moins traduit en droit cette nouvelle idéologie et ce, surtout lorsque Menou était commandant en chef (1800-1801). Droit civil, droit pénal, organisation de la justice, voire même nationalité, l’œuvre réalisée tout comme les questions posées démontrent la volonté, selon les mots de Bonaparte, d’être un « législateur conquérant », qui veut soumettre progressivement les vaincus aux lois des vainqueurs. Pour ce faire, les commandants en chef de l’armée d’Orient esquissèrent une synthèse originale prenant en compte les principes juridiques issus de la Révolution, le droit en vigueur en Egypte avant la conquête, et la distinction entre vainqueurs et vaincus. Cette expédition a ainsi sans l’ombre d’un doute donné naissance à un nouveau droit colonial, même s’il n’est qu’ébauché. On finira par s’interroger sur la place de ce droit dans la genèse juridique du second Empire colonial : si l’influence de l’expédition d’Egypte sur celle d’Alger est indéniable, il ne faut pas sous-estimer les ruptures entre celles-ci.

Citoyenneté et propriété en Algérie au XIXe siècle : devenir des idéaux révolutionnaires libéraux, d’après les archives de Victor-Ambroise Lanjuinais (1802-1869). Florence Renucci, Chercheur, Centre d’Histoire Judiciaire (UMR 8025), CNRS-Université Lille 2.

Si les Constituants de 1789 semblaient s’adresser au genre humain dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), ce libéralisme s’applique de façon moins radicale aux droits politiques qui demeurent étroitement liés à la capacité et en particulier à la propriété, droit reconnu naturel et imprescriptible. L’interrogation principale de cette contribution est de savoir ce que deviennent ces deux piliers de la Révolution - citoyenneté et propriété - au XIXe siècle dans le contexte colonial. Pour le comprendre, nous étudierons cette question à travers les archives de Victor Lanjuinais (1802-1869), fils du révolutionnaire libéral Jean-Denis Lanjuinais (1753-1827) et ami intime de Tocqueville, ancien ministre de la IIe République et député de l’opposition libérale depuis la Monarchie de Juillet jusque sous l’Empire. Ces archives concernent l’Algérie entre 1863 et 1868. Elles revêtent un intérêt majeur pour notre sujet puisque cette période (1863-68) a vu naître deux réformes majeures des droits de propriété et de citoyenneté sur ce territoire : le sénatus-consulte du 22 avril 1863 sur les terres des tribus et l’établissement de la propriété individuelle et le sénatus-consulte du 24 juillet 1865 qui ouvre véritablement l’accès à la citoyenneté française. A travers ces documents inédits, cette contribution se propose donc d’étudier les conceptions que Lanjuinais développe de la propriété et de la citoyenneté en Algérie afin de déterminer dans quelle mesure elles s’inscrivent dans l’héritage libéral de la Révolution. Au-delà, ce travail s’inscrit dans un débat plus général sur l’ambiguïté et la réutilisation des principes révolutionnaires en contexte colonial.

Les Justices de paix dans un contexte colonial : un laboratoire d’expérimentation juridique ?  Sandra Gérard-Loiseau, Ingénieur d’études, Centre d’Histoire Judiciaire (UMR 8025), CNRS-Université Lille 2.

Le vent de réformes qui balaie la France au moment de la Révolution française entraîne dans son sillage la fin des juridictions seigneuriales. Une nouvelle justice voit le jour, prenant la forme de justices de paix qui doivent, selon les souhaits de la constituante, se caractériser par leur gratuité, simplicité et équité. Cette justice innovante, hérite d’un champ de compétences particulièrement large qui va du contentieux civil au contentieux pénal sans oublier le rôle de conciliateur qui lui est dévolu. Acteurs politiques au XIXe siècle, les juges de paix vont voir progressivement leurs compétences évoluer, tout comme leur statut. Partant de cette situation métropolitaine, l’objet de cette étude est de porter un regard sur le fonctionnement des justices de paix dans un contexte colonial. La justice joue, en situation coloniale, un rôle prépondérant puisqu’elle est bien souvent un rouage essentiel de la politique gouvernementale. Le juge de paix en situation coloniale a-t-il eu le rôle prépondérant qui a été celui de son homologue dans la France du XIXe siècle ? Ce juge a-t-il été un acteur de la vie politique locale ? Plus généralement, il s’agira de s’interroger sur les évolutions de la fonction de juge de paix en situation coloniale et savoir si elles ont précédé ou pas les réformes métropolitaines.

Conclusion générale Serge Dauchy, directeur du CHJ, Pierre Serna, directeur de l’IHRF.