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Institut d'Histoire de la Révolution Française (IHRF)

 

IHRF-IHMC
(UMR8066, CNRS/ENS/Paris 1)

 

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Procès du roi - discours de Robespierre

Procès du roi :

discours de Robespierre


1. Discours sur le jugement de Louis XVI (1ère intervention)
prononcé à la tribune de la Convention le 3 décembre 1792



2. L’assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n’y a point ici de procès à faire. Louis n’est point un accusé. Vous n’êtes point des juges. Vous n’êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État, et les représentants de la nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer.

3. Un roi détrôné, dans la république, n’est bon qu’à deux usages : ou à troubler la tranquillité de l’État et à ébranler la liberté, ou à affermir l’une et l’autre à la fois. Or, je soutiens que le caractère qu’a pris jusqu’ici votre délibération va directement contre ce but. En effet, quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la république naissante ? C’est de graver profondément dans les coeurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi.

4. Donc, présenter à l’univers son crime comme un problème, sa cause comme l’objet de la discussion la plus imposante, la plus religieuse, la plus difficile qui puisse occuper les représentants du peuple français ; mettre une distance incommensurable entre le seul souvenir de ce qu’il fut, et la dignité d’un citoyen, c’est précisément avoir trouvé le secret de le rendre encore dangereux à la liberté.

5. Louis fut roi, et la république est fondée : la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes : Louis dénonçait le peuple français comme rebelle : il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères ; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé : il est déjà condamné, ou la république n’est point absoute.

6. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire, car c’est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, il peut être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé : mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ?

7. Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs ; les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l’innocence opprimée ; tous les manifestes des Cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a subie jusqu’à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l’empire français sont coupables : et ce grand procès pendant au tribunal de la nature, entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie. Citoyens, prenez-y garde ; vous êtes ici trompés par de fausses notions, Vous confondez les règles du droit civil et positif avec les principes du droit des gens ; vous confondez les rapports des citoyens entre eux, avec ceux des nations à un ennemi qui conspire contre elles. Vous confondez aussi la situation d’un peuple en révolution avec celle d’un peuple dont le gouvernement est affermi. Vous confondez une nation qui punit un fonctionnaire public, en conservant la forme du gouvernement, et celle qui détruit le gouvernement lui-même. Nous rapportons à des idées qui nous sont familières an cas extraordinaire, qui dépend de principes que nous n’avons jamais appliqués.

8. Ainsi, parce que nous sommes accoutumés à voir les délits dont nous sommes les témoins jugés selon des règles uniformes, nous sommes naturellement portés à croire que dans aucune circonstance les nations ne peuvent avec équité sévir autrement contre un homme qui a violé leurs droits ; et où nous ne voyons point un juré, un tribunal, une procédure, nous ne trouvons point la justice.

9. Ces termes mêmes, que nous appliquons à des idées différentes de celles qu’elles expriment dans l’usage ordinaire, achèvent de nous tromper. Tel est l’empire naturel de l’habitude, que nous regardons les conventions les plus arbitraires, quelquefois même les institutions les plus défectueuses comme la règle absolue du vrai ou du faux, du juste ou de l’injuste.

10. Nous ne songeons pas même que la plupart tiennent encore nécessairement aux préjugés dont le despotisme nous a nourris. Nous avons été tellement courbés sous son joug que nous nous relevons difficilement jusqu’aux éternels principes de la raison ; que tout ce qui remonte à la source sacrée de toutes les lois semble prendre à nos yeux un caractère illégal, et que l’ordre même de la nature nous paraît un désordre.

11. Les mouvements majestueux d’un grand peuple les sublimes élans de la vertu, se présentent souvent à nos yeux timides comme les éruptions d’un volcan ou le renversement de la société politique ; et certes ce n’est pas la moindre cause des troubles qui nous agitent que cette contradiction entre la faiblesse de nos moeurs, la dépravation de nos esprits, et la pureté des principes, l’énergie des caractères que suppose le gouvernement libre auquel nous osons prétendre.

12. Lorsqu’une nation a été forcée de recourir au droit de l’insurrection, elle rentre dans l’état de la nature à l’égard du tyran. Comment celui-ci pourrait-il invoquer le pacte social ? Il l’a anéanti : la nation peut le conserver encore, si elle le juge à propos, pour ce qui concerne les rapports des citoyens entre eux ; mais l’effet de la tyrannie et de l’insurrection, c’est de les constituer réciproquement en état de guerre. Les tribunaux, les procédures judiciaires ne sont faites que pour les membres de la cité.

13. C’est une contradiction trop grossière de supposer que la Constitution puisse présider à ce nouvel ordre de choses : ce serait supposer qu’elle survit à elle-même. Quelles sont les lois qui la remplacent ? celles de la nature ; celle qui est la base de la société même, le salut du peuple : le droit de punir le tyran et celui de le détrôner, c’est la même chose : l’un ne comporte pas d’autres formes que l’autre. Le procès du tyran, c’est l’insurrection ; son jugement, c’est la chute de sa puissance ; sa peine, celle qu’exige la liberté du peuple.

14. Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant : et cette justice vaut bien celle des tribunaux. Si c’est pour leur salut qu’ils s’arment contre leurs oppresseurs, comment seraient-ils tenus d’adopter un mode de les punir qui serait pour eux-mêmes un nouveau danger ?

15. Nous nous sommes laissé induire en erreur par des exemples étrangers qui n’ont rien de commun avec nous. Que Cromwell ait fait juger Charles Ier par une commission judiciaire dont il disposait ; qu’Elisabeth ait fait condamner Marie d’Ecosse de la même manière, il est naturel que des tyrans qui immolent leurs pareils, non au peuple, mais à leur ambition, cherchent à tromper l’opinion du vulgaire par des formes illusoires : il n’est question là ni de principes, ni de liberté, mais de fourberie et d’intrigue. Mais le peuple, quelle autre loi peut-il suivre que la justice et la raison appuyées de sa toute-puissance ?

16. Dans quelle république la nécessité de punir le tyran fut-elle litigieuse ? Tarquin fut-il appelé en jugement ? Qu’aurait-on dit à Rome si des Romains avaient osé se déclarer ses défenseurs ? Que faisons-nous ? Nous appelons de toutes parts des avocats pour plaider la cause de Louis XVI ; nous consacrons comme des actes légitimes ce qui, chez tout peuple libre, eût été regardé comme le plus grand des crimes ; nous invitons nous-mêmes les citoyens à la bassesse et à la corruption : nous pourrons bien un jour décerner aux défenseurs de Louis des couronnes civiques, car, s’ils défendent sa cause, ils peuvent espérer de la faire triompher : autrement vous ne donneriez à l’univers qu’une ridicule comédie. Et nous osons parler de république ! Nous invoquons des formes parce que nous n’avons pas de principes ; nous nous piquons de délicatesse, parce que nous manquons d’énergie ; nous étalons une fausse humanité, parce que le sentiment de la véritable humanité nous est étranger ; nous révérons l’ombre d’un roi, parce que nous ne savons pas respecter le peuple ; nous sommes tendres pour les oppresseurs, parce que nous sommes sans entrailles pour les opprimés.

17. Le procès à Louis XVI ! Mais qu’est-ce que ce procès, si ce n’est l’appel de l’insurrection à un tribunal ou à une assemblée quelconque ? Quand un roi a été anéanti par le peuple, qui a le droit de le ressusciter pour en faire un nouveau prétexte de trouble et de rébellion, et quels autres effets peut produire ce système ? En ouvrant une arène aux champions de Louis XVI, vous renouvelez les querelles du despotisme contre la liberté, vous consacrez le droit de blasphémer contre la république et contre le peuple ; car le droit de défendre l’ancien despote emporte le droit de dire tout ce qui tient à sa cause. Vous réveillez toutes les factions, vous ranimez, vous encouragez le royalisme assoupi ; on pourra librement prendre parti pour ou contre.

18. Quoi de plus légitime, quoi de plus naturel que de répéter partout les maximes que ses défenseurs pourront professer hautement à votre barre et dans votre tribune même ! Quelle république que celle dont les fondateurs lui suscitent de toutes parts des adversaires pour l’attaquer dans son berceau ! Voyez quels progrès rapides a déjà faits ce système.

19. A l’époque du mois d’août dernier, tous les partisans de la royauté se cachaient : quiconque eût osé entreprendre l’apologie de Louis XVI eût été puni comme un traître. Aujourd’hui ils relèvent impunément un front audacieux ; aujourd’hui les écrivains les plus décriés de l’aristocratie reprennent avec confiance leurs plumes empoisonnées ou trouvent des successeurs qui les surpassent en impudeur.

20. Aujourd’hui des écrits précurseurs de tous les attentats inondent la cité où vous résidez. les 83 départements, et jusqu’au portique de ce sanctuaire de la liberté.

21. Aujourd’hui des hommes armés, arrivés à votre insu et contre les lois, ont fait retentir les rues de cette cité de cris séditieux, qui demandent l’impunité de Louis XVI ; aujourd’hui Paris renferme dans son sein des hommes rassemblés, vous a-t-on dit, pour l’arracher à la justice de la nation.

22. Il ne vous reste plus qu’à ouvrir cette enceinte aux athlètes qui se pressent déjà pour briguer l’honneur de rompre des lances en faveur de la royauté. Que dis-je ? Aujourd’hui Louis partage les mandataires du peuple ; on parle pour, on parle contre lui. Il y a deux mois, qui eût pu soupçonner que ce serait une question s’il était inviolable ou non ? Mais depuis qu’un membre de la Convention nationale a présenté cette idée comme l’objet d’une délibération sérieuse, préliminaire à toute autre question, l’inviolabilité dont les conspirateurs de l’assemblée constituante ont couvert ses premiers parjures, a été invoquée pour protéger ses dernier attentats.

23. O crime l ô honte ! La tribune du peuple français a retenti du panégyrique de Louis XVI ; nous avons entendu vanter les vertus et les bienfaits du tyran ! A peine avons-nous pu arracher à l’injustice d’une décision précipitée l’honneur ou la liberté des meilleurs citoyens. Que dis-je ? Nous avons vu accueillir avec une joie scandaleuse les plus atroces calomnies contre des représentants du peuple connus par leur zèle pour la liberté.

24. Nous avons vu une partie de cette assemblée proscrite par l’autre, presque aussitôt que dénoncée par la sottise et par la perversité combinées. La cause du tyran seul est tellement sacrée qu’elle ne peut être ni assez longuement ni assez librement discutée : et pourquoi nous en étonner ? Ce double phénomène tient à la même cause.

25. Ceux qui s’intéressent à Louis ou à ses pareils doivent avoir soif du sang des députés patriotes qui demandent, pour la seconde fois, sa punition ; ils ne peuvent faire grâce qu’à ceux qui se sont adoucis en sa faveur. Le projet d’enchaîner le peuple, en égorgeant ses défenseurs, a-t-il été un seul moment abandonné ? et tous ceux qui les proscrivent aujourd’hui, sous le nom d’anarchistes et d’agitateurs, ne doivent-ils pas exciter eux-mêmes les troubles que nous présage leur perfide système ?

26. Si nous les en croyons, le procès durera au moins plusieurs mois ; il atteindra l’époque du printemps prochain, où les despotes doivent nous livrer une attaque générale. Et quelle carrière ouverte aux conspirateurs ! Quel aliment donné à l’intrigue et à l’aristocratie ! Ainsi tous les partisans de la tyrannie pourront espérer encore dans les secours de leurs alliés ; et les armées étrangères pourront encourager l’audace des contre-révolutionnaires, en même temps que leur or tentera la fidélité du tribunal qui doit prononcer sur son sort.

27. Juste ciel ! toutes les hordes féroces du despotisme s’apprêtent à déchirer de nouveau le sein de notre patrie, au nom de Louis XVI ! Louis combat encore contre nous du fond de son cachot ; et l’on doute s’il est coupable, si on peut le traiter en ennemi ! Je veux bien croire encore que la République n’est point un vain nom dont on nous amuse : mais quels autres moyens pourrait-on employer, si l’on voulait rétablir la royauté ?

28. On invoque en sa faveur la Constitution. Je me garderai bien de répéter ici tous les arguments sans réplique développés par ceux qui ont daigné combattre cette espèce d’objection. Je ne dirai là-dessus qu’un mot pour ceux qu’ils n’auraient pu convaincre, La Constitution vous défendait tout ce que vous avez fait. S’il ne pouvait être puni que de la déchéance, vous ne pouviez la prononcer sans avoir instruit son procès. Vous n’aviez point le droit de le retenir en prison. Il a celui de vous demander son élargissement et des dommages et intérêts. La Constitution vous condamne : allez aux pieds de Louis XVI invoquer sa clémence. Pour moi, je rougirais de discuter plus sérieusement ces arguties constitutionnelles ; je les relègue sur les bancs de l’école ou du palais, ou plutôt dans les cabinets de Londres, de Vienne ou de Berlin. Je ne sais point discuter longuement où je suis convaincu que c’est un scandale de délibérer.

29. C’est une grande cause, a-t-on dit, et qu’il faut juger avec une sage et lente circonspection. C’est vous qui en faites une grande cause : que dis-je ? c’est vous qui en faites une cause. Que trouvez-vous là de grand ? Est-ce la difficulté ? Non. Est-ce le personnage ? Aux yeux de la liberté, il n’en est pas de plus vil ; aux yeux de l’humanité, il n’en est pas de plus coupable. Il ne peut en imposer encore qu’à ceux qui sont plus lâches que lui. Est-ce l’utilité du résultat ? C’est une raison de plus de le hâter. Une grande cause, c’est celle d’un malheureux opprimé par le despotisme, Quel est le motif de ces délais éternels que vous nous recommandez ? Craignez-vous de blesser l’opinion du peuple ? Comme si le peuple lui-même craignait autre chose que la faiblesse ou l’ambition de ses mandataires ; comme si le peuple était un vil troupeau d’esclaves stupidement attaché au stupide tyran qu’il a proscrit, voulant, à quelque prix que ce soit, se vautrer dans la bassesse et dans la servitude.

30. Vous parlez de l’opinion ; n’est-ce point à vous de la diriger, de la fortifier ? Si elle s’égare, si elle se déprave, à qui faudrait-il s’en prendre, si ce n’est à vous-mêmes ? Craignez-vous les rois étrangers ligués contre vous ? Oh ! sans doute, le moyen de les vaincre, c’est de paraître les craindre ! Le moyen de confondre les despotes, c’est de respecter leur complice ! Craignez-vous les peuples étrangers ? Vous croyez donc encore à l’amour inné de la tyrannie. Pourquoi donc aspirez-vous à la gloire d’affranchir le genre humain ? Par quelle contradiction supposez-vous que les nations, qui n’ont point été étonnées de la proclamation des droits de l’humanité, seront épouvantées du châtiment de l’un de ses plus cruels oppresseurs ?

31. Enfin, vous redoutez, dit-on, les regards de la postérité, Oui, la postérité s’étonnera, en effet, de notre inconséquence et de notre faiblesse, et nos descendants riront à la fois de la présomption et des préjugés de leurs pères. On a dit qu’il fallait du génie pour approfondir cette question. Je soutiens qu’il ne faut que de la bonne foi. Il s’agit bien moins de s’éclairer que de ne pas s’aveugler volontairement, Pourquoi ce qui nous paraît clair dans un temps nous semble-t-il obscur dans un autre ? Pourquoi ce que le bon sens du peuple décide aisément se change-t-il, pour ses délégués, en problème presque insoluble ? Avons-nous le droit d’avoir une volonté contraire à la volonté générale, et une sagesse différente de la raison universelle ?

32. J’ai entendu les défenseurs de l’inviolabilité avancer un principe hardi, que j’aurais presque hésité moi-même à énoncer. Ils ont dit que ceux qui, le 10 août, auraient immolé Louis XVI, auraient fait une action vertueuse ; mais la seule base de cette opinion ne pouvait être que les crimes de Louis XVI et les droits du peuple. Or, trois mois d’intervalle ont-ils changé ses crimes ou les droits du peuple ? Si alors on l’arracha à l’indignation publique, ce fut sans doute uniquement pour que sa punition, ordonnée solennellement par la Convention nationale au nom de la nation, en devînt plus imposante pour les ennemis de l’humanité : mais remettre en question s’il est coupable ou s’il peut être puni, c’est trahir la foi donnée au peuple français.

33. Il est peut-être des gens qui, soit pour empêcher que l’assemblée ne prenne un caractère digne d’elle, soit pour ravir aux nations un exemple qui élèverait les âmes à la hauteur des principes républicains. soit par des motifs encore plus honteux, ne seraient pas fâchés qu’une main privée remplît les fonctions de la justice nationale. Citoyens, défiez-vous de ce piège : quiconque oserait donner un tel conseil ne servirait que les ennemis du peuple. Quoi qu’il arrive, la punition de Louis n’est bonne désormais qu’autant qu’elle portera le caractère solennel d’une vengeance publique. Qu’importe au peuple le méprisable individu du dernier roi ?

34. Représentants, ce qui lui importe, ce qui vous importe à vous-mêmes, c’est que vous remplissiez les devoirs qu’il vous a imposés. La république est proclamée ; mais nous l’avez-vous donnée ? Vous n’avez pas encore fait une seule loi qui justifie ce nom ; vous n’avez pas encore réformé un seul abus du despotisme : ôtez les non s, nous avons encore la tyrannie tout entière, et, de plus, des factions plus viles, et des charlatans plus immoraux, avec de nouveaux ferments de troubles et de guerre civile.

35. La république ! et Louis vit encore ! et vous placez encore la personne du roi entre nous et la liberté ! A force de scrupules, craignons de nous rendre criminels ; craignons qu’en montrant trop d’indulgence pour le coupable, nous ne nous mettions nous-mêmes à sa place.

36. Nouvelle difficulté. A quelle peine condamnerons-nous Louis ? La peine de mort est trop cruelle. Non, dit un autre, la vie est plus cruelle encore ; je demande qu’il vive. Avocats du roi, est-ce par pitié ou par cruauté que vous voulez le soustraire à la peine de ses crimes ? Pour moi, j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois ; et je n’ai pour Louis ni amour ni haine ; je ne hais que ses forfaits.

37. J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’assemblée que vous nommez encore constituante ; et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, qui ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ?

38. Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer. Oui, la peine de mort, en général, est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social. Or, jamais la sûreté publique ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d’autres moyens, et mettre le coupable dans l’impuissance de lui nuire.

39. Mais un roi détrôné, au sein d’une révolution qui n’est rien moins que cimentée par des lois justes ; un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée ; ni la prison, ni l’exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public ; et cette cruelle exception aux lois ordinaires que la justice avoue ne peut être imputée qu’à la nature de ses crimes. Je prononce à regret cette fatale vérité... mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive.

40. Chez un peuple paisible, libre et respecté au dedans comme au dehors, on pourrait écouter les conseils qu’on vous donne d’être généreux : mais un peuple à qui l’on dispute encore sa liberté, après tant de sacrifices et de combats, un peuple chez qui les lois ne sont encore inexorables que pour les malheureux, un peuple chez qui les crimes de la tyrannie sont des sujets de dispute, un tel peuple doit vouloir qu’on le venge ; et la générosité dont on vous flatte ressemblerait trop à celle d’une société de brigands qui se partagent des dépouilles.

41. Je vous propose de statuer dès ce moment sur le sort de Louis. Quant à sa femme, vous la renverrez aux tribunaux, ainsi que toutes les personnes prévenues des mêmes attentats. Son fils sera gardé au Temple, jusqu’à ce que la paix et la liberté publique soient affermies. Quant à Louis, je demande que la Convention nationale le déclare dès ce moment traître à la nation française, criminel envers l’humanité ; je demande qu’à ce titre il donne un grand exemple au monde, dans le lieu même où sont morts, le 10 août, les généreux martyrs de la liberté, et que cet événement mémorable soit consacré par un monument destiné à nourrir dans le coeur des peuples le sentiment de leurs droits & l’horreur des tyrans ; &, dans l’âme des tyrans, la terreur salutaire de la justice du peuple.

100. Discours sur le jugement de Louis XVI (2ème intervention)
prononcé à la tribune de la Convention le 28 décembre 1792.



101. Par quelle fatalité la question qui devrait réunir le plus facilement tous les suffrages et tous les intérêts des représentants du peuple ne paraît-elle que le signal des dissensions et des tempêtes ? Pourquoi les fondateurs de la république sont-ils divisés sur la punition du tyran ? Je n’en suis pas moins convaincu que nous sommes tous pénétrés d’une égale horreur pour le despotisme, enflammés du même zèle pour la sainte égalité ; et j’en conclus que nous devons nous rallier aisément aux principes de l’intérêt public et de l’éternelle justice.

102. Je ne répéterai point qu’il est des formes sacrées qui ne sont pas celles du barreau ; qu’il est des principes indestructibles, supérieurs aux rubriques consacrées par l’habitude et par les préjugés ; que le véritable jugement d’un roi, c’est le mouvement spontané et universel d’un peuple fatigué de la tyrannie, qui brise le sceptre entre les mains du tyran qui l’opprime ; que c’est là le plus sûr, le plus équitable et le plus pur de tous les jugements. Je ne vous répéterai pas que Louis était déjà condamné, avant le décret par lequel vous avez prononcé qu’il serait jugé par vous ; je ne veux raisonner ici que dans le système qui a prévalu. Je pourrais même ajouter que je partage, avec le plus faible d’entre vous, toutes les affections particulières qui peuvent l’intéresser au sort de l’accusé.

103. Inexorable, quand il s’agit de calculer, d’une manière abstraite, le degré de sévérité que la justice des lois doit déployer contre les ennemis de l’humanité, j’ai senti chanceler dans mon coeur la vertu républicaine, en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. La haine des tyrans et l’amour de l’humanité ont une source commune dans le coeur de l’homme juste, qui aine son pays.

104. Mais, citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants du peuple doivent à la patrie, c’est d’immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut d’un grand peuple et de l’humanité opprimée. Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l’innocence au crime est une sensibilité cruelle ; la clémence qui compose avec la tyrannie est barbare. Citoyens, c’est à l’intérêt suprême du salut public que je vous rappelle. Quel est le motif qui vous force à vous occuper de Louis ? Ce n’est pas le désir d’une vengeance indigne de la nation ; c’est la nécessité de cimenter la liberté et la tranquillité publique par la punition du tyran. Tout mode de le juger, tout système de lenteur qui compromet la tranquillité publique, contrarie donc directement votre but ; il vaudrait mieux que vous eussiez absolument oublié le soin de le punir que de faire de son procès une source de troubles et un commencement de guerre civile.

105. Chaque instant de retard amène pour nous un nouveau danger ; tous les délais réveillent les espérances coupables, encouragent l’audace des ennemis de la liberté, nourrissent au sein de cette assemblée la sombre défiance, les soupçons cruels ; citoyens, c’est la voix de la patrie alarmée qui vous presse de hâter la décision qui doit la rassurer. Quel scrupule enchaîne encore votre zèle ? Je n’en trouve le motif, ni dans les principes des amis de l’humanité, ni dans ceux des philosophes, ni dans ceux des hommes d’état, ni même dans ceux des praticiens les plus subtils et les plus épineux.

106. La procédure est arrivée à son dernier terme. Avant-hier, l’accusé vous a déclaré qu’il n’avait rien de plus à dire pour sa défense ; il a reconnu que toutes les formes qu’il désirait étaient remplies ; il a déclaré qu’il n’en exigeait point d’autres. Le moment même où il vient de faire entendre sa justification est le plus favorable à sa cause. Il n’est pas de tribunal au monde qui n’adoptât, en sûreté de conscience, un pareil système. Un malheureux, pris en flagrant délit, ou prévenu seulement d’un crime ordinaire, sur des preuves mille fois moins éclatantes, eût été condamné dans vingt-quatre heures.

107. Fondateurs de la république, selon ces principes, vous pouviez juger, il y a longtemps, avec sécurité. le tyran du peuple français. Quel était le motif d’un nouveau délai ? Vouliez-vous acquérir de nouvelles preuves écrites contre l’accusé ? Non, Vouliez-vous faire entendre des témoins ? Cette idée n’est encore entrée dans la tête d’aucun de nous. Doutiez-vous du crime ? Non, Vous auriez douté de la légitimité ou de la nécessité de l’insurrection ; vous douteriez de ce que la nation croit fermement ; vous seriez étrangers à notre révolution ; et, loin de punir le tyran, c’est à la nation elle-même que vous auriez fait le procès. Avant-hier, le seul motif que l’on ait allégué pour prolonger la décision de cette affaire a été la nécessité de mettre à l’aise la conscience des membres que l’on a supposés n’être point encore convaincus des attentats de Louis. Cette supposition gratuite, injurieuse et absurde, a été démentie par la discussion même.

108. Citoyens, il importe ici de jeter un regard sur le passé et de vous retracer à vous-mêmes vos propres engagements. Déjà, frappés des grands intérêts que je viens de vous représenter, vous aviez fixé deux fois, par deux décrets solennels, l’époque où vous deviez juger Louis irrévocablement ; avant-hier était la seconde de ces deux époques. Lorsque vous rendîtes chacun de ces deux décrets, vous vous promettiez bien que ce serait là le dernier terme ; et, loin de croire que vous violiez en cela la justice et la sagesse, vous étiez plutôt tentés de vous reprocher à vous-mêmes trop de facilité. Vous trompiez-vous alors ? Non, citoyens, c’est dans les premiers moments que vos vues étaient plus saines, et vos principes plus sûrs ; plus vous vous laisserez engager dans ce système, plus vous perdrez de votre énergie et de votre sagesse ; plus la volonté des représentants du peuple, égarée, même à leur insu peut-être, s’éloignera de la volonté générale, qui doit être leur suprême régulatrice.

109. Il faut le dire, tel est le cours naturel des choses, telle est la pente malheureuse du cœur humain. Je ne puis me dispenser de vous rappeler ici un exemple frappant, analogue aux circonstances où nous sommes, et qui doit nous instruire. Quand Louis, au retour de Varennes, fut soumis au jugement des premiers représentants du peuple, un cri général d’indignation s’élevait contre lui dans l’Assemblée constituante ; il n’y avait qu’une voix pour le condamner, peu de temps après, toutes les idées changèrent, les sophismes et les intrigues prévalurent sur la liberté et sur la justice ; c’était un crime de réclamer contre lui la sévérité des lois à la tribune de l’Assemblée nationale ; et ceux qui vous demandent aujourd’hui, pour la seconde fois, la punition de ses attentats, furent alors persécutés, proscrits, calomniés dans toute l’étendue de la France, précisément parce qu’ils étaient restés en trop petit nombre fidèles à la cause publique et aux principes sévères de la liberté ; Louis seul était sacré ; les représentants du peuple, qui l’accusaient, n’étaient que des factieux, des désorganisateurs, et, qui pis est, des républicains.

110. Que dis-je ? Le sang des meilleurs citoyens, le sang des femmes et des enfants coula pour lui sur l’autel de la patrie. Citoyens, nous sommes des hommes aussi, sachons mettre à profit l’expérience de nos devanciers. Je n’ai pas cru cependant à la nécessité du décret qui vous fut proposé de juger sans désemparer. Ce n’est pas que je me détermine par le motif de ceux qui ont cru que cette mesure accuserait la justice ou les principes de la Convention nationale. Non, même à ne vous considérer que comme des juges, il était une raison très morale qui pouvait facilement la justifier en elle-même : c’est de garantir leur impartialité et leur incorruptibilité, en les renfermant seuls avec leur conscience et les preuves, jusqu’au moment où ils auront prononcé leur sentence.

111. Tel est le motif de la loi anglaise, qui soumet les jurés à la gêne qu’on voulait vous imposer ; telle était la loi adoptée chez plusieurs peuples célèbres par leur sagesse ; une pareille conduite ne vous eût pas déshonorés plus qu’elle ne déshonore l’Angleterre et les autres nations qui ont suivi les mêmes maximes ; mais moi, je la juge encore superflue, parce que je suis convaincu que la décision de cette affaire ne sera pas reculée au delà du terme où vous serez suffisamment éclairés, et que votre zèle pour le bien public est pour vous une loi plus impérieuse que vos décrets. Au reste, il était difficile de répondre aux raisons que je viens de développer ; mais, pour retarder votre jugement, on vous a parlé de l’honneur de la nation, de la dignité de l’assemblée.

112. L’honneur des nations, c’est de foudroyer les tyrans et de venger l’humanité avilie ! La gloire de la Convention nationale consiste à déployer un grand caractère et à immoler les préjugés serviles eux principes salutaires de la raison et de la philosophie ; il consiste à sauver la patrie et à cimenter la liberté par un grand exemple donné à l’univers. Je vois sa dignité s’éclipser à mesure que nous oublions cette énergie des maximes républicaines pour nous égarer dans un dédale de chicanes inutiles, et que nos orateurs, à cette tribune, font faire à la ration un nouveau cours de monarchie.

113. La postérité vous admirera ou vous méprisera selon le degré de vigueur que vous montrerez dans cette occasion ; et cette vigueur sera la mesure aussi de l’audace ou de la souplesse de notre servitude ou de notre liberté, de notre prospérité ou de notre misère. Citoyens, la victoire décidera si vous êtes des rebelles ou les bienfaiteurs de l’humanité ; et c’est la hauteur de votre caractère qui décidera la victoire. Citoyens, trahir la cause du peuple et notre propre conscience, livrer la patrie à tous les désordres que les lenteurs d’un tel procès doivent exciter, voilà le seul danger que nous devions craindre.

114. Il est temps de franchir l’obstacle fatal qui nous arrête depuis si longtemps à l’entrée de notre carrière ; alors, sans doute, nous marcherons ensemble d’un pas ferme vers le but commun de la félicité publique ; alors les passions haineuses qui mugissent trop souvent dans ce sanctuaire de la liberté feront place à l’amour du bien public, à la sainte émulation des amis de la patrie, et tous les projets des ennemis de l’ordre public seront confondus. Mais que nous sommes encore loin de ce but, si elle peut prévaloir ici, cette étrange opinion, que d’abord on eût à peine osé imaginer, qui ensuite a été soupçonnée, qui, enfin, a été hautement proposée !

115. Pour moi, dès ce moment, j’ai vu confirmer toutes mes craintes et mes soupçons. Nous avions tout d’abord paru inquiets sur les suites des délais que la marche de cette affaire pouvait entraîner, et il ne s’agit rien moins que de la rendre interminable ; nous redoutions les troubles que chaque moment de retard pouvait amener, et voilà qu’on nous garantit en quelque sorte le bouleversement inévitable de la république. Eh ! que nous importe que l’on cache un dessein funeste sous le voile de la prudence, et même sous le prétexte du respect pour la souveraineté du peuple ! Ce fut là l’art perfide de tous les tyrans déguisés sous les dehors du patriotisme, qui ont, jusque ici, assassiné la liberté et causé tous nos maux. Ce ne sont point les déclamations sophistiques, mais le résultat, qu’il faut peser. Citoyens, je connais le zèle qui vous anime pour le bien public : vous étiez le dernier espoir de la patrie ; vous pouvez la sauver encore. Pourquoi faut-il que nous soyons quelquefois obligés de croire que nous avons commencé notre carrière sous d’affreux auspices ?

116. C’est par la terreur et par la calomnie que l’intrigue égara l’Assemblée constituante, dont la majorité était bien intentionnée, et qui avait fait d’abord de si grandes choses. Je suis effrayé de la ressemblance que j’aperçois entre deux périodes de notre révolution, que le même roi a rendues mémorables. Quand Louis fugitif fut ramené à Paris, l’Assemblée constituante craignait aussi l’opinion publique ; elle avait peur de tout ce qui l’environnait. Elle ne craignait point la Cour et l’aristocratie ; elle craignait le peuple ; alors elle croyait qu’aucune force armée ne serait jamais assez considérable pour la défendre contre lui, Le peuple osait faire éclater le désir de la punition de Louis ; les partisans de Louis accusaient sans cesse le peuple ; le sang du peuple fut versé.

117. Aujourd’hui, j’en conviens, il n’est pas question d’absoudre Louis ; nous sommes encore trop voisins du 10 août et du jour où la royauté fut abolie ; mais il est question d’ajourner la fin de son procès au temps de l’irruption des puissances étrangères sur notre territoire, et de lui ménager la ressource de la guerre civile ; on ne veut point le déclarer inviolable, mais seulement faire qu’il reste impuni ; il ne s’agit pas de le rétablir sur le trône, mais d’attendre les événements. Aujourd’hui, Louis a encore cet avantage sur les défenseurs de la liberté, que ceux-ci sont poursuivis avec plus de fureur que lui-même. Personne ne peut douter, sans doute, qu’ils ne soient diffamés avec plus de soin, et à plus grand frais, qu’au mois de juillet 1791 ; et certes les jacobins n’étaient pas plus décriés, à cette époque, dans l’Assemblée constituante qu’ils ne le sont aujourd’hui parmi vous.

118. Alors, nous étions des factieux ; aujourd’hui. nous sommes des agitateurs et des anarchistes. Alors, La Fayette et ses complices oublièrent de nous faire égorger ; il faut espérer que ses successeurs auront la même clémence. Ces grands amis de la paix, ces illustres défenseurs des lois ont été depuis déclarés traîtres à la patrie ; mais nous n’avons rien gagné à cela ; car leurs anciens amis, plusieurs membres de la majorité de ce temps-là, cherchent ici même à les venger, en nous persécutant.

119. Mais ce que personne de vous n’a remarqué, sans doute, et qui mérite bien cependant de piquer votre curiosité, c’est que l’orateur qui, après un libelle préparatoire, distribué selon l’usage, à tous les membres, a proposé et développé, avec tant de véhémence, le système de renvoyer l’affaire de Louis au tribunal des assemblées primaires, en parsemant son discours des déclamations ordinaires contre le patriotisme, est précisément le même qui, dans l’Assemblée constituante, prêta sa voix à la cabale dominante, pour défendre la doctrine de l’inviolabilité absolue, et qui nous dévouait à la proscription. pour avoir osé défendre les principes de la liberté ; c est le même, en un mot, car il faut tout dire, qui, deux jours après le massacre du Champ-de-Mars, osa proposer un projet de décret portant établissement d’une commission pour juger souverainement, dans le plus bref délai, les patriotes échappés au fer des assassins.

120. J’ignore si, depuis ce temps-là, les amis, ardents de la liberté, qui pressent encore aujourd’hui la condamnation de Louis, sont devenus des royalistes ; mais je doute fort que les hommes dont je parle aient changé de caractère et de principes. Mais ce qui m’est bien démontré, c’est que, sous des nuances différentes, les mêmes passions et les mêmes vices nous conduisent par une pente presque irrésistible vers le même but. Alors l’intrigue nous donna une constitution éphémère et vicieuse ; aujourd’hui elle nous empêche d’en faire une nouvelle. et nous entraîne à la dissolution de l’État.

121. S’il était un moyen de prévenir ce malheur, ce serait de dire la vérité tout entière ; ce serait de vous développer le plan désastreux des ennemis du bien public. Mais quel moyen de remplir même ce devoir avec succès ? Quel est l’homme sensé, ayant quelque expérience de notre révolution qui pourrait espérer de détruire, en un moment, le monstrueux ouvrage de la calomnie ? Comment l’austère vérité pourrait-elle dissiper les prestiges par lesquels la lâche hypocrisie a séduit la crédulité et peut-être le civisme lui-même ? J’ai observé ce qui se passe autour de nous, j’ai observé les véritables causes de nos dissensions ; je vois clairement que le système dont j’ai démontré les dangers perdra la patrie, et je ne sais quel triste pressentiment m’avertit qu’il prévaudra. Je pourrais prédire, d’une manière certaine, les événements qui vont suivre cette résolution, d’après la connaissance que j’ai des personnages qui les dirigent.

122. Ce qui est constant, c’est que, quel que soit le résultat de cette fatale mesure, elle doit tourner au profit de leurs vues particulières. Pour obtenir la guerre civile, il ne sera pas même nécessaire qu’elle soit complètement exécutée. Ils comptent sur la fermentation que cette orageuse et éternelle délibération excite dans les esprits. Ceux qui ne veulent pas que Louis tombe sous le glaive des lois ne seraient pas fâchés de le voir immolé par un mouvement populaire ; ils ne négligeront rien pour le provoquer.

123. Peuple malheureux ! On se sert de tes vertus mêmes pour te perdre. Le chef-d’œuvre de la tyrannie, c’est de provoquer ta juste indignation, pour te faire un crime ensuite, non seulement des démarches indiscrètes auxquelles elle peut te porter, mais même des signes de mécontentement qui t’échappent. C’est ainsi qu’une Cour perfide, aidée de La Fayette, t’attira sur l’autel de la patrie, comme dans le piège où elle devait t’assassiner. Que dis-je ? hélas ! si les nombreux étrangers qui affluent dans tes murs, à l’insu même des autorités constituées ; si les émissaires même de nos ennemis attentaient à l’existence du fatal objet de nos divisions, cet acte même te serait imputé ; alors, ils soulèveront contre toi les citoyens des autres parties de la république ; ils armeront contre toi, s’il est possible, la France entière, pour te récompenser de l’avoir sauvée !

124. Peuple malheureux ! tu as trop bien servi la cause de l’humanité pour être innocent aux yeux de la tyrannie ; ils voudront bientôt nous arracher à tes regards, pour consommer en paix leurs exécrables projets ; en partant, nous te laisserons pour adieux la ruine, la misère, la guerre et la perte de la république ! Doutez-vous de ce projet ? Vous n’avez donc jamais réfléchi sur tout ce système de diffamation, développé dans votre sein et à votre tribune ; vous ne connaissez donc pas l’histoire de nos tristes et orageuses séances ? Il vous a dit une grande vérité, celui qui vous disait hier que l’on marchait à la dissolution de l’Assemblée nationale par la calomnie. Vous en faut-il d’autres preuves que cette discussion ? Quel autre objet semble-t-elle avoir maintenant, que de fortifier, par des insinuations perfides, toutes les préventions sinistres dont la calomnie a empoisonné tous les esprits ; que d’attiser le feu de la haine et de la discorde ?

125. N’est-il pas évident que c’est moins à Louis XVI qu’on fait le procès, qu’aux plus chauds défenseurs de la liberté ? Est-ce contre la tyrannie de Louis XVI qu’on s’élève ? Non, c’est contre la tyrannie d’un petit nombre de patriotes opprimés. Sont-ce les complots de l’aristocratie qu’on redoute ? Non, c’est la dictature de je ne sais quels députés du peuple, qui sont là tout prêts à le remplacer. On veut conserver le tyran pour l’opposer à des patriotes sans pouvoir. Les perfides ! ils disposent de toute la puissance publique et de tous les trésors de l’état, et ils nous accusent de despotisme ; il n’est pas un hameau dans la république où ils ne nous aient diffamés ; ils épuisent le trésor public, pour multiplier leurs calomnies ; ils osent, au mépris de la foi publique, violer le secret de la poste, pour arrêter toutes les dépêches patriotiques, pour étouffer la voix de l’innocence et de la vérité ! Et ils crient à la calomnie ! Ils nous ravissent jusqu’au droit de suffrage, et ils nous dénoncent comme des tyrans ! Ils présentent comme des actes de révolte les cris douloureux du patriotisme outragé par l’excès de la perfidie ; et ils remplissent ce sanctuaire des cris de la vengeance et de la fureur !

126. Comment sortirons-nous de cet abîme, si nous ne revenons point aux principes, et si nous ne remontons pas à la source de nos maux ? Quelle paix peut exister entre l’oppresseur et l’opprimé ? Quelle concorde peut régner où la liberté des suffrages n’est pas même respectée ? Toute manière de la violer est un attentat contre la nation. Un représentant du peuple ne peut se laisser dépouiller du droit de défendre les intérêts du peuple ; nulle puissance ne peut le lui enlever qu’en lui arrachant la vie. Déjà, pour éterniser la discorde et pour se rendre maîtres des délibérations, on a imaginé de distinguer l’Assemblée en majorité et en minorité, nouveau moyen d’outrager et de réduire au silence ceux qu’on désigne sous cette dernière dénomination.

127. Je ne connais point ici ni minorité, ni majorité. La majorité est celle des bons citoyens ; la majorité n’est point permanente, parce qu’elle n’appartient à aucun parti ; elle se renouvelle à chaque délibération libre, parce qu’elle appartient à la cause publique et à l’éternelle raison ; et quand l’Assemblée reconnaît une erreur, comme il arrive quelquefois, la minorité devient alors la majorité.

128. La volonté générale ne se forme point dans les conciliabules ténébreux, ni autour des tables ministérielles. La minorité a partout un droit éternel, c’est celui de faire entendre la voix de la vérité ou de ce qu’elle regarde comme telle. La vertu fut toujours en minorité sur la terre. Sans cela, la terre serait-elle peuplée de tyrans et d’esclaves ? Hamden et Sydney étaient de la minorité, car ils expirèrent sur un échafaud ; les Critias, les Anitus, les César, les Clodius, étaient de la majorité ; mais Socrate était de la minorité. car il avala la ciguë ; Caton était de la minorité, car il déchira ses entrailles. Je connais ici beaucoup d’hommes qui serviront, s’il le faut, la liberté, à la manière de Sydney et d’Hamden ; et n’y en eût-il que cinquante, cette seule pensée doit faire frémir tous ces lâches intrigants qui veulent égarer la majorité. En attendant cette époque, je demande au moins la priorité pour le tyran.

129. Unissons-nous pour sauver la patrie, et que cette délibération prenne enfin un caractère plus digne de nous et de la cause que nous défendons. Bannissons du moins tous ces déplorables incidents qui la déshonorent ; ne mettons pas à nous persécuter plus de temps qu’il n’en faut pour juger Louis ; et sachons apprécier le sujet de nos inquiétudes, Tout semble conspirer contre le bonheur public... La nature de nos débats agite et aigrit l’opinion publique, et cette opinion réagit douloureusement contre nous ; la défiance des représentants du peuple semble croître avec les alarmes des citoyens. Un propos, le plus petit événement, que nous devrions entendre avec plus de sang-froid, nous irrite ; la malveillance exagère, ou imagine, ou fait naître chaque jour des anecdotes dont le but est de fortifier les préventions, et les petites causes peuvent nous entraîner aux plus terribles résultats.

130. La seule expression un peu vive des sentiments du public, qu’il est facile de réprimer, devient le prétexte des mesures les plus dangereuses et des propositions les plus attentatoires aux principes... Peuple, épargne-nous au moins cette espèce de disgrâce ; garde tes applaudissements pour le jour où nous aurons fait une loi utile à l’humanité. Ne vois-tu pas que tu leur donnes des prétextes de calomnier la cause sacrée que nous défendons ? Plutôt que de violer ces règles sévères, suis plutôt le spectacle de nos débats ; loin de tes yeux, nous n’en combattrons pas moins ; c’est à nous seuls maintenant de défendre ta cause ; quand le dernier de tes défenseurs aura péri, alors venge-les, si tu veux, et charge-toi de faire triompher la liberté. Souviens-toi de ce ruban, que ta main étendit naguère, comme une barrière insurmontable, autour de la demeure funeste de nos tyrans encore sur le trône. Souviens-toi de la police maintenue jusque ici, sans baïonnettes, par la seule vertu populaire.

131. Citoyens, qui que vous soyez, veillez autour du Temple ; arrêtez, s’il est nécessaire, la malveillance perfide, même le patriotisme trompé ; et confondent les complots de nos ennemis. Fatal dépôt ! N’était-ce pas assez que le despotisme du tyran eût si longtemps pesé sur cette immortelle cité ? Faut-il que sa garde même soit pour elle une nouvelle calamité ? Ne veut-on éterniser ce procès que pour perpétuer les moyens de calomnier le peuple qui l’a renversé du trône ? J’ai prouvé que la proposition de soumettre aux assemblées primaires l’affaire de Louis Capet tendait à la guerre civile ; s’il ne m’est pas donné de contribuer à sauver mon pays, je prends acte du moins. dans ce moment, des efforts que j’ai faits pour prévenir les calamités qui le menacent. Je demande que la Convention nationale déclare Louis coupable et digne de mort.

200. 5 janvier 1793. Parution du N°1 de la deuxième série des " LETTRES… A SES COMMETTANS " de Robespierre, contenant une lettre à MM. Vergniaud, Gensonné, Brissot & Guadet sur la souveraineté du peuple & sur leur système de l’appel du jugement de Louis Capet, ainsi que le tableau des opérations de la Convention.

201. " […] Qu’est-ce que la souveraineté, messieurs ? c’est le pouvoir qui appartient à la nation de régler sa destinée. La nation a sur elle-même, tous les droits que chaque homme a sur sa personne ; & la volonté générale gouverne la société comme la volonté particulière gouverne chaque individu isolé. Les mandataires du peuple sont, avec le souverain, dans le même rapport que les commis d’un particulier avec leur commettant, & que le serviteur avec le père de famille. Or, messieurs, que diriez-vous d’un fondé de procuration qui, au lieu de saisir l’occasion de conclure un affaire d’où dépend la ruine ou la fortune de son mandant, la laisserait échapper, sous le prétexte de le consulter ? Que diriez-vous d’un serviteur qui refuserait d’éteindre le feu qui prend à la maison de son maître, de peur d’attenter au droit qui appartient à celui-ci, de disposer de sa propriété ? or, messieurs, la république est menacée d’un grand incendie ; loin de l’éteindre, c’est vous qui l’allumez. Vous mettez le feu à la maison du souverain, pour la piller impunément.

202. " Comment, messieurs ! on vous a entendu mille fois faire un crime aux bons citoyens de ce qu’ils réclamaient la souveraineté du peuple, pour la défendre contre vos attaques, & voilà que, tout-à-coup, vous poussez vous-mêmes votre tendre sollicitude pour elle, au-delà des bornes de la démagogie la plus outrée, parce qu’il s’agit de sauver le tyran, & de détruire la république. Vous ne l’avez point invoquée, lorsque vous protégiez Narbonne ; lorsque vous faisiez décréter qu’il irait commander l’armée sans rendre ses comptes ; lorsque vous faisiez retentir la tribune, lorsque vous remplissiez vos feuilles vénales de son éloge, & que vous gardiez le silence sur les manœuvres par lesquelles il livrait l’état, sans défense, à nos ennemis. Vous ne l’avez point invoquée, M. Guadet, lorsque vous fîtes remettre par la législature, le droits de faire des lois pour l’armée, & le pouvoir absolu de vie & de mort sur les défenseurs persécutés de la patrie, entre les mains des généraux de ce tems-là, c’est-à-dire, de tous les traîtres qui étaient alors à la tête de nos armées. Vous n’invoquiez point la souveraineté, messieurs, lorsque vous placiez vous-mêmes vos amis au ministère, & que vous vous empariez, à deux époques différentes, des trésors de l’état & de toute la puissance publique. Vous ne consultiez point le peuple, lorsque, disposant très-librement des deniers publics, vous faisiez donner aux ministres six millions pour dépenses secrètes ; lorsqu’ensuite vous fîtes révoquer ce décret, au moment où vous fûtes brouillés avec Dumourier, qui vous accusa publiquement de vouloir punir le refus qu’il avait fait de partager le butin entre vous. Ce n’est pas la volonté du souverain que vous consultiez, car la volonté du souverain n’est ni injuste, ni versatile. Vous ne la consultiez pas, lorsque vous entassiez des millions dans les mains de Rolland, votre ami, tantôt sous le prétexte d’acheter des grains, tantôt sous le prétexte de former l’esprit public, c’est-à-dire, pour affamer le peuple & calomnier les amis de la liberté. La consultiez-vous, lorsqu’à la fin de juillet dernier, au moment où les fédérés rassemblés à Paris, conspiraient saintement contre la tyrannie, avec toutes les sections de cette grande cité, vous osâtes vous opposer à la déchéance de Louis Capet, demandée par les cris de l’indignations universelle ; lorsque M. Vergniaud osa proposer aux représentans du peuple d’envoyer un message au tyran, & de lui faire des représentations, pour le dérober au décret qui le menaçait ? Alors, messieurs, vous paraissiez plus convaincu de la souveraineté de la cour, que de celle du peuple […]

203. " Portez long-tems le deuil des tyrans, pour appeler la haine sur la tête des bons citoyens, & sur le berceau de la république. On sait que vous ne vous attachez au mois de septembre, que pour vous venger du mois d’août, & pour calomnier indirectement la révolution que vous avez voulu étouffer, & que vous avez réussi à rendre nulle, jusqu’à ce moment. Prodiguez les noms d’assassins & de scélérats à la portion la plus pure de l’assemblée nationale ; il n’en sera pas moins vrai que les défenseurs de la cause du peuple sont les amis de l’humanité, & que les avocats de la tyrannie sont aussi lâches que cruels. Imputez des projets criminels aux patriotes, pour cacher vos propres attentats, & ils seront plutôt découverts ; criez aux agitateurs & à l’anarchie, afin qu’on ne s’aperçoive pas que vous excitez les troubles dont vous vous plaignez, & que vous n’aspirez qu’à déchirer la république ; & vous en serez plus promptement convaincus. […] Les Gensonné, les Vergniaud, les Brissot, les Guadet passeront ; Paris restera. Paris sera encore le rempart de la liberté, le fléau des tyrans, le désespoir des intrigans, la gloire de la république & l’ornement du globe, long-tems après que vous serez tous des émigrés. […]

204. " Quand Louis fugitif eut été ramené de varenne, la presqu’unanimité de l’assemblée constituante, était déterminée à le déclarer inviolable, & à lui laisser toute son autorité. La constitution monarchique existait ; & il n’y avait point eu d’insurrection qui eût renversé le tyran du trône ; le petit nombre de membres qui osèrent élever la voix contre cette conspiration contre la liberté publique, opposèrent au système dominant, la ressource du jugement du peuple qui désirait la punition de Louis. J’avoue que j’étais de ce nombre ; s’il était alors une idée tendante à la république, propre à amener la ruine du tyran & de la tyrannie, c’était celle-là ; aussi, tous les esclaves de la cour me dénoncèrent comme républicain. Mais aujourd’hui que la république est fondée, aujourd’hui que la Convention nationale, assemblée pour condamner Louis, n’oserait l’absoudre, & que les plus déterminés royalistes de votre parti n’osent le proposer ; aujourd’hui que la guerre étrangère, qui n’était point alors allumée, semble combinée avec la guerre civile, dont toutes les torches semblent préparées, il n’y a que les ennemis de la liberté qui aient pu imaginer d’anéantir, par un appel, la pressante mesure de sûreté générale que la Convention doit prononcer contre lui. Nous appelions alors au peuple du décret de l’inviolabilité & de l’absolution du roi ; aujourd’hui vous appelez du décret qui doit le condamner, & dont vous feignez vous-mêmes de reconnaître la justice. Vous faites, pour la tyrannie, tout ce que les circonstances permettent de faire en sa faveur ; nous faisions alors tout ce qu’il était possible de tenter pour la liberté. Dans vos principes, vous auriez voté alors pour la majorité corrompue, que nous combattions, & que vous imitez. Que dis-je ? les principaux champions de votre système sont du nombre de ceux qui en 1791, votèrent lâchement pour l’impunité du roi parjure, & pour l’accroissement de son pouvoir ; & ce sont ces gens-là qui nous font aujourd’hui un crime d’avoir voulu appeler de leur faiblesse ou de leur corruption, à la justice du peuple indigné ! Qu’on juge, par ce seul trait, de votre véracité & de votre pudeur ! […] "

300. 15 janvier 1793. La Convention, à la quasi unanimité, répond OUI à la question : Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté de la nation & d’attentat contre la sûreté de l’Etat ? Ensuite, 424 contre 281 députés répondent NON à la question : Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t-il soumis à la ratification du peuple réuni dans ses assemblées primaires ? 16 janvier 1793. La Convention doit se prononcer, par appel nominal, sur la question : Quelle peine sera infligée à Louis ?


Gazette nationale, ou le Moniteur universel :


301. " Robespierre. Je n’aime point les longs discours dans les questions évidentes ; ils sont d’un sinistre présage pour la liberté ; ils ne peuvent suppléer à l’amour de la vérité & au patriotisme qui les rend superflus. Je me pique de ne rien comprendre aux distinctions logomachiques imaginées pour éluder la conséquence évidente d’un principe reconnu. Je n’ai jamais su décomposer mon existence politique, trouver en moi deux qualités disparates, celle de juge & celle d’homme d’Etat ; la première, pour déclarer l’accuser coupable ;la seconde pour me dispenser d’appliquer la peine. Tout ce que je sais, c’est que nous sommes des représentants du peuple, envoyés pour cimenter la liberté publique par la condamnation du tyran & cela me suffit. Je ne sais pas outrager la raison & la justice, en regardant la vie d’un despote comme d’un plus grand prix que celle des simples citoyens, & en me mettant l’esprit à la torture pour soustraire le plus grand des coupables à la peine que la loi prononce contre des délits beaucoup moins graves, & qu’elle a déjà infligée à ses complices. Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l’humanité qui égorge les peuple, & qui pardonne aux despotes.

302. Le sentiment qui m’a porté à demander, mais en vain, à l’Assemblée constituante, l’abolition de la peine de mort, est le même qui me force aujourd’hui à demander qu’elle soit appliquée au tyran de ma patrie, & à la royauté elle-même dans sa personne. Je ne sais point prédire ou imaginer des tyrans futurs ou inconnus, pour me dispenser de frapper celui que j’ai déclaré convaincu, avec la presque unanimité de cette assemblée,& que le peuple m’a chargé de juger avec vous. Des factions véritables ou chimériques ne seraient point, à mes yeux, des raisons de l’épargner, parce que je suis convaincu que le moyen de détruire les factions n’est pas de les multiplier, mais de les écraser toutes sous le poids de la raison & de l’intérêt national. Je vous conseille, non de conserver celle du roi, pour l’opposer à celles qui pourraient naître ; mais de commencer par abattre celle-là, & d’élever ensuite l’édifice de la félicité générale sur la ruine de tous les partis anti-populaires. Je ne cherche point non plus, comme plusieurs autres, des motifs de sauver le ci-devant roi dans les menaces ou dans les efforts des despotes de l’Europe, car je les méprise tous, & mon intention n’est pas d’engager les représentants du peuple à capituler avec eux. Je sais que le seul moyen de les vaincre, c’est d’élever le caractère français à la hauteur des principes républicains, & d’exercer sur les rois & sur es esclaves des rois l’ascendant des âmes fières & libres sur les âmes serviles & insolentes. Je croirai bien moins encore que ces despotes répandent l’or à grand flots pour conduire leur pareil à l’échafaud, comme on l’a intrépidement supposé. Si j’étais soupçonneux, ce serait précisément la proposition contraire qui me paraîtrait vraie. Je ne veux point abjurer ma propre raison pour me dispenser de remplir mes devoirs ; je me garderai bien surtout d’insulter un peuple généreux, en répétant sans cesse que je ne délibère point ici avec liberté, en m’écriant que nous sommes environnés d’ennemis, car je ne veux point protester d’avance contre la condamnation de Louis Capet, ni en appeler aux cours étrangères. J’aurais trop de regrets, si mes opinions ressemblaient à des manifestes de Pitt ou de Guillaume ; enfin, je ne sais point opposer des mots vides de sens & des distinction inintelligibles à des principes certains & à des obligations impérieuses. Je vote pour la mort. "


17 janvier 1793.

L’appel nominal, commencé la veille, se termine vers 8 heures du soir.

 

Proclamation du 17 janvier à 10 heures du soir


745 députés un mort 6 malades 2 absents sans cause 11 absents par commission 4 se dispensent de voter soit 721 majorité à 361 voix

387 députés sur 721 se sont prononcés pour la mort. 366 la mort 1 vote la mort en réservant au peuple de commuer la peine 23 la mort, en demandant s’il faut accélérer ou retarder l’exécution 8 la mort avec sursis tant que la "race entière" des Bourbons n’aura pas été expulsée 2 la mort avec sursis jusqu’à la paix

319 la détention jusqu’à la paix et bannissement après 2 les fers.

 

Proclamation officielle du 18 janvier


749 députés 15 absents par commission 7 malades 1 absent sans cause 5 non votants

721 voix majorité 361

361 la mort 26 la mort en demandant s’il fallait ou non la différer (soit 387 pour la mort sans conditions) 14 la mort avec condition : expulsion des Bourbons 10 la mort condition : acceptation de la constitution par le peuple 19 la mort condition : pas avant la paix 1 la mort condition débat sur délai (soit 44 : au total la mort avec ou sans condition : 431)

190 la détention jusqu'à la paix 27 la détention perpétuelle 63 détention avec conditions 2 les fers 5 bannissement immédiat 3 déportation (soit 290)

Il est possible de présenter les votes ainsi 387 pour la mort 334 pour la détention ou la mort conditionnelle

ou


361 pour la mort 360 pour la détention ou la mort conditionnelle

ce cas de figure est toujours présenté pour dire que la mort de Louis XVI a été obtenue à une voix de majorité)

(AP, p. 411 Les défenseurs du roi transmettent alors à la Convention une protestation de sa part : " j’interjette appel à la nation elle-même du jugement de ses représentants. " En un mot, il récuse ses juges & repose la question de l’appel au peuple. Robespierre intervient. A sa suite, Guadet demande l’ajournement au lendemain. Finalement, la Convention décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Gazette nationale, ou le Moniteur universel : " Robespierre. […] Et moi qui ai éprouvé aussi les sentimens qui vous animent, je vous rappelle dans ce moment à votre caractère de représentans du peuple, aux grands principes qui doivent vous guider, si vous ne voulez pas que le grand acte de justice que vous avez accordé à la Nation elle-même ne devienne une nouvelle source de peines & de malheurs. […] Je demande donc que vous déclariez, Citoyens, que le prétendu appel au peuple qui vient de vous être signifié, doit être rejeté, comme contraire aux principes de l’autorité publique, aux droits de la Nation, aux autorités des représentans, & que vous interdisiez à qui que ce soit d’y donner aucune suite, à peine d’être poursuivi comme perturbateur du repos public. "

 

18 janvier 1793.

 

Lors du vote sur la peine à infliger, les Girondins ont voté pour la mort, mais avec sursis. Ce jour est donc consacré à la question du sursis. La Montagne se prononce pour la discussion immédiate & sans désemparer. De même Robespierre, mais il ajoute que si l’Assemblée devait ajourner la discussion, qu’elle " décrète que demain à 4 heures, l’appel nominal sera commencé sur la question du sursis ; & que si le résultat lui est contraire, l’exécution aura lieu dans les vingt-quatre heures. " Finalement, la Convention ajourne au lendemain.

 

19 janvier 1793.

 

La Convention ferme la discussion sur le sursis & procède à l’appel nominal sur la question : Sera-t-il sursis à l’exécution du jugement de Louis Capet ? 380 NON contre 310 OUI.

 

20 janvier.


Assassinat par Pâris, ancien garde du corps du roi, de Lepeletier de Saint-Fargeau, député & ami intime de Robespierre. Alors que les Girondins se disent menacés par les Parisiens, c’est un Montagnard qui tombe. Le soir, à la veille de l’exécution de Louis XVI, aux Jacobins, Robespierre appelle les sections " à maintenir un calme imposant & terrible " & une affiche leur est envoyée à cet effet. Ce même jour, à la Convention, les Girondins, par la bouche de Gensonné, réclament des poursuites contre les auteurs des massacres de septembre, ce qui est adopté avec un amendement de Tallien incluant dans ces poursuites ces qui ont défendu les Tuileries le 10 août.

 

21 janvier. Exécution de Louis Capet, ci-devant Louis XVI.

 

La Convention accorde à Lepeletier les honneurs du Panthéon & décrète qu’elle assistera en corps à ses funérailles. Elle supprime le bureau de Roland relatif à la formation de l’esprit public & décrète qu’il devra en rendre les comptes. Le Logotachigraphe : " Robespierre. […] Citoyens, que ce grand attentat, qui doit être un dernier coup porté par nos ennemis, & qui doit retourner contre la tyrannie, ne soit point une occasion de violer les principes de la liberté par un excès de zèle ; le véritable moyen de sauver la patrie, c’est d’avoir pour ces mêmes principes un respect inaltérable. […] La liberté s’opposera toujours à ce qu’un corps investi d’une énorme puissance & d’une autorité qui embrasse l’Etat tout entier, soit encore chargé spécialement & immédiatement de la police particulière d’un lieu. […]